Une chronique de François Houdecek : ainsi va le vent… que tourne l’opinion !

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Dans notre monde hyper connecté, l’information court toujours plus vite et nous entraîne désormais dans une spirale infernale où un événement chasse l’autre de manière toujours plus rapide. Les opinions publiques surinformées passent du rire aux larmes : d’un attentat dramatique à un chaton trop mignon qui ouvre les pattes quand on lui caresse le ventre, d’une crise sanitaire ou sociale aux dernières frasques d’une personnalité médiatique ou politique. Dans ce contexte tourbillonnant les « memes » (images ou vidéos parodiques) fleurissent presque instantanément sur les réseaux sociaux, et côtoient les anathèmes lancées sur tel ou tel avant même que la Justice ne se prononce.

Une chronique de François Houdecek : ainsi va le vent… que tourne l’opinion !
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Pour nos politiques, cette accélération et ces manifestations sans filtre de l’opinion ont pour conséquence des prises de parole régulières et incessantes. Ils sont invités à donner leur avis sur tous les sujets même les plus anodins. On peut d’ailleurs admirer cette facilité avec laquelle nos responsables ont des convictions sur tout et tout le temps, encouragé en cela par des journalistes avides de petites phrases polémiques. On peut également admirer (ou se désespérer) du jeu d’acrobate verbal et idéologique quand certains sont capables d’affirmer l’opposé de ce qu’ils ont dit la veille ou quelques temps plus tôt. Le travail parlementaire entourant la réforme des retraites ou les récentes élections municipales sont, dans ce cadre, des exemples assez saisissants de cet art consommé de versatilité politico-médiatique… Guidés par leur position sur l’échiquier politique, les sondages et les réactions sur les réseaux sociaux, ils réagissent en comédiens, allant parfois jusqu’à se caricaturer eux-mêmes. En cela, ils ressemblent à l’abbé Villecourt dans l’excellent film de Patrice Leconte : Ridicule (à voir et à revoir en cette période de confinement). Campé magistralement par Bernard Giraudeau, le courtisan, devant un Louis XVI ébahi, démontre avec brio l’existence du divin et conclut sa prestation en se proposant de faire « le contraire quand il plaira à sa majesté » ! Dans le film, la réaction du monarque est presque aussi rapide que celle des réseaux sociaux d’aujourd’hui.

Cette versatilité n’est pas le propre de nos dirigeants. Il suffit qu’une équipe sportive gagne pour être soutenue, encouragée, adulée… si elle perd, elle est vilipendée et l’entraîneur, voué aux gémonies ! En politique il en va de même, un élu n’est pas sitôt arrivé aux commandes, qu’appliquant son programme, une partie des soutiens d’hier se transforment plus ou moins rapidement en farouches opposants.

On pourrait penser que cette versatilité des politiques et de l’opinion est un symptôme de notre modernité. Cependant, le 11 mai 1820 Napoléon à Sainte-Hélène ne dit pas autre chose devant le général Bertrand. « En France, l’opinion finit toujours par se ranger du côté de qui a le dessus, il est extraordinaire combien l’opinion change en France. Les mêmes hommes, du jour au lendemain, ou trois mois après, ont des opinions toutes différentes, il ne faut donc pas se laisser conduire par l’opinion. » Certaines choses semblent intangibles ! À l’inverse de beaucoup, Napoléon à Sainte-Hélène conserva une certaine constance sur un grand nombre de sujets. Notamment sur le principe de gouvernement (ne pas suivre l’opinion) qu’il édicta devant le grand-maréchal du Palais : il l’appliqua en 1813-1814. Durant cette période, il resta sourd aux signaux négatifs de l’opinion que Savary ou Joseph lui faisaient remonter, parfois en accusant vertement ses contradicteurs de défaitisme ! On le sait, cette attitude, entre autres choses, conduisit à une aversion de l’Empire et de Napoléon par nombre de Français en 1814.

En 1813, Napoléon aurait probablement dû écouter plus son entourage et l’opinion… En 2020, nos politiques devraient certainement moins avoir les yeux rivés sur les réseaux sociaux. Ainsi va le monde !

François Houdecek
Avril 2020

François Houdecek est chargé des projets spéciaux à la Fondation Napoléon.

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