Une chronique de François Houdecek : des infox politiques…

Auteur(s) : HOUDECEK François
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« Fake news ! » Cette expression anglo-saxonne a été popularisée ces dernières années notamment par l’actuel président des États-Unis qui concourt à sa réélection. Le 45e président américain et quelques autres hommes politiques ou médiatiques sont passés maîtres dans l’art de manipuler et instrumentaliser les infox. Les réseaux sociaux, avec leur circulation d’information à grande vitesse, pullulent désormais de ces images ou textes dont la traçabilité n’est jamais très explicite. Les utilisateurs des réseaux (un mot est à inventer !) restent parfois bien seuls pour trier le bon grain de l’ivraie face à ce déferlement constant de nouvelles. Les manipulations et les rumeurs les plus excentriques trouvent ainsi quelquefois dans les moins suspicieux un terreau fertile pour se répendre sur le globe. Quand un homme politique s’en trouve en être la caution l’impact en est alors décuplé !

Pour servir leurs desseins, les hommes politiques n’ont cependant pas attendu Internet et ce début de XXIe siècle pour manipuler les sources et créer de fausses informations.

Une chronique de François Houdecek : des infox politiques…
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

En 1814, alors que Napoléon jouait la survie de son régime dans les plaines de Champagne, Marie-Louise reçut l’ordre en cas de désastre de sortir de Paris et de faire détruire nombre de documents secrets. Le 29 mars avant de quitter la capitale, elle fit ordonner à Louis François Bary archiviste du Cabinet de l’Empereur d’exécuter l’ordre fatidique. Aussitôt, le zélé fonctionnaire fit partir en fumée plusieurs dizaines de feuillets aux informations sensibles (Correspondance générale, vol. 15, p. 1293 et suivantes).

Cet ordre avait anticipé ce qui arriva sitôt la Monarchie restaurée. Les autorités royales soucieuses de s’établir politiquement, voulurent chercher dans les archives du « défunt Empire » quelques détails secrets à utiliser contre Napoléon ou ses anciens soutiens encore en place. Le baron de Vitrolles, secrétaire d’État et Blacas d’Aulps, conseiller du Roi, qui pilotaient ce travail firent convoquer et interroger l’archiviste. Il déclara avoir brûlé notamment des papiers relatifs à la famille et à la Maison de l’Empereur, des dossiers de la police secrète concernant les royalistes, les anarchistes, Cadoudal etc. Il avoua également que faute de temps, certains dossiers furent épargnés et cachés. Autant de documents qu’on s’empressa de se faire remettre pour analyse. Parmi tous les documents qui avaient échappé aux flammes, Blacas prit notamment possession d’une partie de la correspondance de Napoléon avec Murat. Au profit d’un retentissant renversement d’alliance, le roi et la reine de Naples s’étaient maintenus sur le trône d’Italie du sud. Pour le gouvernement royal restauré, comment accepter que ces représentants de la famille de « Buonaparte » règnent sur un pays dont le trône avait été selon eux usurpé à Marie-Caroline, sœur aînée de Marie-Antoinette ! Les documents épargnés devaient bien recéler quelques secrets inavouables à même de faire éclater au grand jour la duplicité des Murat. Faute d’avoir trouvé des documents suffisamment compromettants on décida d’en inventer !

Deux lettres de janvier 1813 (Correspondance générale, vol. 13, nos 32438, et 32501) où Napoléon reprochait à Murat d’avoir abandonné l’armée (oubliant au passage son propre départ…) furent antidatées du 17 février 1814 et 10 mars 1814. Pour faire bonne mesure, on forgea sur la base d’une lettre du 30 août 1811 un troisième document. À cette date les relations entre Napoléon et son beau-frère étaient déjà tendues. L’Empereur avait écrit quelques lettres à Murat l’enjoignant de travailler au profit de la France en achevant l’une d’elle par « si vous cessiez d’être Français, vous ne seriez rien pour moi. Continuez de correspondre avec le ministre de la Guerre » (Correspondance générale, vol. 11, p. 1480). Il n’en fallait pas plus pour que Blacas et son secrétaire modifient ce texte notamment d’un « continuez de correspondre avec le vice-roi », la date du 7 mars 1814, et enrichissent ce billet de deux paragraphes qui servaient leurs visées politiques. Au lot de cette mystification s’ajoutaient des lettres d’Élisa, de Fouché et d’Eugène de Beauharnais à Napoléon, autant de documents qui devaient montrer la collusion entre Murat et son beau-frère, alors qu’il avait rejoint la coalition.

Début mars 1815, des copies certifiées du conseiller de Louis XVIII inondèrent les cours d’Europe de Saint-Pétersbourg à Berlin en passant par Bologne et le congrès de Vienne. Alors que le Vol de l’Aigle avait atteint Paris, à Londres Castlereagh décida de les commenter dans les séances du 2 mai et suivantes au Parlement britannique et les fit imprimer. Portés à la connaissance des publics anglais et européen, elles firent grand bruit et soulevèrent l’indignation que Blacas avait recherchée. Le trône de Murat ne tenait plus qu’à un fil. Conscient de l’animosité de la Monarchie restaurée, le roi de Naples n’avait, quant à lui, pas attendu cette entreprise pour se rapprocher du souverain de l’île d’Elbe dès 1814.

Napoléon, de retour aux Tuileries, prit connaissance de ce travail de sape entrepris par le gouvernement royal et s’amusa de la communication londonienne. Pour montrer toute la grossièreté de l’entreprise, il fit publier au Moniteur un long article de mise au point, incluant des passages des vrais documents. Cette bataille de communication, véritable « fact-checking » impérial (il n’existe pas de traduction de cet anglicisme), n’empêcha cependant pas Waterloo ni la fin tragique du flamboyant Murat à Pizzo le 13 octobre 1815.

À l’issue de ces mésaventures les vraies lettres de Napoléon de 1813 retrouvèrent le calme des Archives de la secrétairerie d’État impériale (aujourd’hui aux Archives nationales) où elles sont toujours, tandis que la lettre à Murat d’août 1811 disparut corps et biens.

Les communicants modernes le savent, une fois lancée une infox est difficile à combattre. Il faut l’action des décodeurs médiatiques pour désamorcer en partie ces fausses nouvelles dont il reste cependant toujours quelque chose dans l’opinion publique et les méandres d’Internet. Dans le même esprit, les faux certifiés de Blacas se retrouvent encore aujourd’hui dans presque tous les centres d’archives nationaux d’Europe, et ont fait l’objet de plusieurs publications depuis 1815 !

François Houdecek
Novembre 2020

François Houdecek est chargé des projets spéciaux à la Fondation Napoléon.

Titre de revue :
inédit
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