Une chronique de François Houdecek : « Des plaines indiennes de cinéma aux champs de bataille autrichiens. Quand la réalité galope mieux que la fiction… »

Auteur(s) : HOUDECEK François
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On se souvient de la scène d’ouverture marquante du film Danse avec les loups. Sorti en 1990, réalisé et interprété par Kevin Costner, le film est inspiré du roman de Michael Blake écrit quelques années auparavant. L’histoire met en scène le parcours du lieutenant John G. Dunbar, des champs de bataille de la guerre de Sécession aux grandes plaines où il rencontre une tribu d’Indiens Lakotas à laquelle il finit par appartenir.

Une chronique de François Houdecek : « Des plaines indiennes de cinéma aux champs de bataille autrichiens. Quand la réalité galope mieux que la fiction… »
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Le film commence en 1863, en pleine guerre de Sécession. Le lieutenant Nordiste, campé par Kevin Costner, blessé à la jambe, doit se faire amputer. À cette perte d’autonomie annoncée, il préfère une mort héroïque sur le champ de bataille. Profitant de l’éloignement de ses médecins, Dunbar remet sa botte sur sa jambe blessée, et s’élance entre les lignes des armées de l’Union et Confédérée qui se font face depuis plusieurs jours. Au cours de sa chevauchée qu’il espère mortelle, les balles fusent mais aucune ne le touche ! Les troupes Nordistes profitent alors de la diversion, et montent à l’assaut des positions sudistes qui sont enlevées. Malgré sa course périlleuse, Dunbar est sauvé.

Cette scène, magistralement mise en image par Costner, n’est pas sans rappeler un épisode des Mémoires de Jacques Chevillet (1786-1837). Dans l’univers des auteurs de mémoires, ce trompette est un témoin peu connu, mais attachant. À travers les lettres écrites à son père et à un ami, il raconte ses aventures militaires avec un certain détachement et beaucoup d’humour. Trompette à l’âge de 15 ans dans le 8e régiment de chasseurs à cheval, ses aventures militaires commencent réellement en 1805 en Allemagne et se poursuivent en Italie de 1806 à 1809. Durant ses quatre années de guerre, le fougueux jeune homme fait preuve d’une certaine bravoure, et de beaucoup d’enthousiasme. Ses Mémoires fourmillent de détails sur la vie des cavaliers de l’Empire !

En 1809, le 8e régiment de chasseurs à cheval est engagé dans la campagne qui se conclut par la bataille de Raab puis de Wagram. Le 10 juin, lors d’une action de tirailleur, le jeune homme est défié par une « vieille moustache des hussards hongrois. » Le duel est remporté de belle manière, par le trompette, qui, fier de son combat, veut retrouver ses lignes, mais son cheval en décide autrement. Sa monture, qu’il venait de prendre à l’ennemi quelques jours plus tôt, s’emballe sans que Chevillet ne puisse la refréner. Le cheval l’emmène alors au grand trot « en arrière de la ligne des tirailleurs ennemis » et dans l’intervalle qui est « entre eux et le front de leur escadron. » Le jeune homme, bien malgré lui, se retrouve à tourner autour des hussards autrichiens qui, incrédules, ne réagissent pas. Pour regagner la ligne française, il doit de nouveau passer parmi les tirailleurs autrichiens au grand galop… Lancé à toute bride, « cette course au milieu des ennemis » se passe sans encombre et il retrouve ses camarades qui le félicitent pour s’en être sorti vivant.

Le parallèle entre les deux héros s’interrompt ici.

Rétabli et sa jambe sauvée, John Dunbar est décoré « pour avoir cherché la mort », ce qui est salué comme un acte de bravoure. On lui offre alors Sisco, le cheval qui l’a sauvé, et le choix de son affectation. Il choisit la Frontière et les grandes plaines du Middle West. Commence alors l’Odyssée indienne du personnage campé par Kevin Costner.

L’histoire réelle de Chevillet connaît une suite moins brillante. Au début du XIXe, si la bravoure et le courage sont récompensés, en revanche, l’intrépidité, dont a fait preuve Chevillet, ne l’est pas. Pour avoir ignoré le danger, il n’a pas respecté l’éthos militaire. Ainsi, le jeune homme n’est plus autorisé à monter le fougueux cheval qui, ce jour-là, aurait pu lui coûter la vie, et doit le céder à un officier.

Surtout, quelques semaines plus tard, à Wagram, en pleine charge, le trompette est sérieusement blessé au bras droit par un éclat d’obus. À l’inverse du héros de Costner, après la bataille, Chevillet n’a pas d’autre option que de subir l’opération. La perte de son bras signe pour lui la fin de sa carrière militaire, mais également de ses ambitions artistiques. Amer, il rentre dans le civil et obtient un emploi de garde champêtre en banlieue de Paris… il meurt paisiblement en 1837, loin de ses aventures militaires qu’il décrit avec tant de verve mais sans que le cinéma ne s’y soit intéressé. Dommage, car son périple vaut bien celui de Dunbar/Costner !

François Houdecek, responsable des projets spéciaux de la Fondation Napoléon (mai 2025)

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