Une chronique de François Houdecek : destin collectif ou destin individuel… le choix de la guerre

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Le conflit espagnol qui commença en 1808 entraîna la capture de très nombreux français et soldats alliés qui servaient sous les Aigles de l’Empire. Si les espagnols improvisèrent des solutions avec les conséquences dramatiques que l’on connaît, devant l’afflux de captifs, les britanniques eurent, on le sait, une stratégie bien rodée. Pontons, forteresses, détenus sur parole… les prisonniers furent nombreux à séjourner en Angleterre de longues années dans des conditions plus ou moins difficiles.
Cependant dès 1808, comme le faisaient toute les nations en guerre de l’époque, il ne fut pas rare que, lors de la capture ou quelques temps après, soit proposé aux soldats tombés entre leurs mains ou celles des espagnols, de rejoindre leurs rangs. Un choix cornélien radical s’imposait à chaque homme entre destin et sauvegarde personnel ou fidélité au drapeau et à la Nation. Les Allemands, Italiens, Suisses, Belges ou encore Polonais furent nombreux à s’enrôler dans l’armée qu’ils combattaient la veille. Pour beaucoup servant dans des unités sous bannière française (ou de leur nation), que leur importait la cause impériale ou le drapeau tricolore et ce, même s’ils étaient issus de départements fraichement réunis à l’Empire ? Pour ces derniers, cela avait été probablement plus par habitude d’obéissance qu’ils étaient entrés dans la conscription, que par adhésion aux valeurs impériales et françaises. Ils devaient se penser comme des mercenaires et changer d’allégeance et de couleur d’uniforme ne dut pas beaucoup les perturber !

Une chronique de François Houdecek : destin collectif ou destin individuel… le choix de la guerre
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Pour les hommes issus de « l’ancienne France », comme l’on disait alors, les choses n’étaient, dans une certaine mesure, pas très différentes. Les historiens de la Révolution ont longtemps porté que la Nation s’ancra dans le cœur des français, et des militaires en particulier, après 1789. Si cela est un fait indéniable, il est néanmoins possible de nuancer car chez certain le chemin fut plus long et plus tortueux !
L’esprit mercenaire du XVIIIe siècle était encore bien présent, ils furent un certain nombre à ne pas rechigner en Espagne notamment et, dans une moindre mesure en Russie, à rejoindre les rangs de l’ennemie d’hier. Certains se firent même des spécialistes du transfuge.

Claude Salmon parti remplaçant en 1801 au 23e de ligne, ne devait pas être porté sur le service militaire car il déserta par deux fois. Condamné à 10 ans de fer pour sa seconde évasion militaire, il était au bagne de Bayonne lorsqu’en 1807 on lui proposa de se joindre à l’armée de Junot en partance pour le Portugal. Lors des opérations, Salmon fut fait prisonnier par les Espagnols chez qui il prit du service… avant de déserter pour rejoindre l’armée française où il intégra le 27e chasseur. En 1809, il fut capturé près de Séville par les Britanniques. Salmon fut emmené captif en Angleterre pendant 4 ans, et fini par prendre rang dans l’armée de sa gracieuse majesté. Il débarqua en Calabre en 1813 et fit campagne jusqu’en 1814. Démobilisé, il séjourna à Rome et fut incarcéré 8 mois dans les prisons italiennes lors des Cents jours avant de retrouver sa liberté. Ce Salmon qui aurait pu écrire une guide touristique des geôles européennes, devait en plus avoir une idée de Nation bien à lui ! Cependant, jouer les « filles de l’air » après avoir pris rang chez l’adversaire pouvait être une stratégie chez certains captifs pour retourner sous leurs drapeaux d’origine.

Les Chasseurs britanniques étaient une unité composée en 1801 de royalistes français servant le roi d’Angleterre. Opérant en Méditerranée puis en Espagne, elle se recruta durant le guerre de la Péninsule de déserteurs et prisonniers français. Le taux de désertion y fut si élevé que Wellington finit par interdire qu’on la mette aux avant-poste !
Pour limiter ces désertions de transfuges, les armées ne faisaient que rarement opérer les nationaux les uns contres les autres. Sur ce principe à partir de 1811, les unités britanniques qui recrutèrent le plus de prisonniers français et européens furent souvent envoyées au Canada. Les corps composés d’allemands comme le 60th regiment, le York light infantry, ou le régiment suisse germanophone de Watteville, incorporèrent quelques dizaines de français maniant la langue de Goethe.
C’est surtout dans le régiment Suisse francophone de Meuron qu’à partir de 1808 fut incorporé le plus grand nombre de transfuges tricolores. Les premiers étaient issues du corps du Dupont défait à Baylen. C’est ainsi que le Vosgien Antoine Pierre soldat au 33e d’infanterie fait prisonnier à Baylen, après deux mois sur les pontons de Cadix, fut de ceux qui préfèrent prendre rang chez l’ennemi dans le régiment de Meuron plutôt que mourir en captivité. À son embarquement vers l’Amérique au printemps 1813, près du quart des effectifs (256 sur 1040) était français.

Les ralliements étant plus nombreux que ce qu’attendaient les Britanniques, en 1812, ils levèrent un corps composé majoritairement de ces transfuges français. De 1812 à 1814, ce furent près de 800 hommes (89 % de français) qui rejoignirent les rangs des Independent Companies of Foreigners. Très indisciplinés, ils ne furent engagés qu’une seule fois en combat. Le 22 juin 1813, les deux premières compagnies participèrent à une opération contre le village américain de Hampton dans la baie de Chesapeake. Lors du combat, un tiers des hommes désertèrent tandis que les autres se livrèrent à des exactions. Hors de contrôle, ils tuèrent sans distinctions des officiers américains qui s’étaient rendus et des civils non armés, mais également pillèrent et incendièrent la localité. Cette violence outrancière choqua la hiérarchie britannique qui passa sous silence la participation à l’action de marins et soldats anglais, pour incriminer les volontaires français. Ils furent également indexés par la presse américaine comme les plus déchaînés.
Cependant ces méthodes de guerre n’étaient pas sans rappeler les pratiques de la guerre en Espagne où les français, pour répondre à la violence des guérillas, appliquèrent souvent des méthodes de répressions brutales. Devant les faits et la désertion endémique, cette Independent Company ne fut plus employée qu’à des postes de garnisons en Angleterre et fut démobilisée en 1814 non sans avoir été minée par l’indiscipline et les courts martiales. Ne pas subir une longue détention mortifère, poursuivre l’aventure guerrière et militaire, quel que soit le drapeau ou par addiction à la violence… il est complexe de comprendre les motivations de ces hommes devenus professionnels de la guerre. Faire la guerre implique en permanence de faire le choix entre aspirations personnelles et contraintes collectives ; chez ces hommes, le destin individuel prima certainement sur toute autre considération.

Une partie des troupes au service anglais (notamment le régiment de Meuron) fut démobilisée au Canada en 1814. Certains hommes, probablement sans le sou pour revenir en Europe, firent souche en Amérique francophone. Ceux qui vivaient encore au milieu du XIXe siècle purent recevoir la Médaille de Sainte-Hélène. Napoléon III fut moins regardant que les historiens militaires français qui, jusqu’à présent, ne se sont jamais penchés sur ces hommes qui cadrent, il est vrai, assez mal avec l’image d’Épinal du grognard fidèle à l’Empereur jusqu’à la mort !

François Houdecek

Février 2022

François Houdecek est responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon.

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