Officier d’artillerie sous Louis XV, Gribeauval fit la guerre de Sept Ans dans les rangs autrichiens. De ses campagnes, il tira l’enseignement que l’artillerie royale devait être réformée en profondeur. Devenu inspecteur de l’arme en 1764, il s’attacha à développer un système complet qu’il divisa en artillerie de campagne, de siège, de place et de côte. Il allégea les pièces de canon et les rendit plus manœuvrables. Un temps écarté suite aux vives critiques des conservateurs, il fut finalement rappelé aux affaires. Il put ainsi parachever son œuvre. En 1774, à la tête d’une commission, il mit au point un système complet d’artillerie : bouches à feu, caisson et affûts dont il standardisa et facilita la production. En 1777, il appliqua sa méthode aux armes à feu portatives qu’il révolutionna en mettant au point notamment un nouveau fusil, système qu’il généralisa aux autres armes. Encore une fois, il misa sur la standardisation des pièces détachées qui permettaient une production facilitée et des réparations plus aisées pour les militaires. Ce système d’arme global, tout en étant souple d’emploi pour les officiers et les soldats, réduisait les coûts pour l’État. Les arsenaux et les manufactures purent augmenter leurs productions et fournir aux soldats de la Révolution et de l’Empire leurs outils de la guerre. Alliées à des tactiques d’emploi et des règlements qui évoluèrent pendant la Révolution et l’Empire, ces armes donnèrent un léger avantage à l’armée française et permirent les succès que l’on connaît. Même si le système Gribeauval fut corrigé en l’an XI, la robustesse des armes mises au point fit qu’il ne fut remplacé qu’en 1822. Ce système d’arme français reflète la stabilité technologique qui régna en Europe sous l’Empire. Aucun des belligérants n’ayant d’avantage sur ce point. Il fallut attendre les années 1820 pour qu’évoluent les techniques et les moyens de productions pour voir apparaître de nouvelles armes qui a leur tour bouleversèrent les champ de bataille de la seconde moitié du XIXe siècle.
On le voit à travers l’évocation du système Gribeauval, l’arme avant d’être confiée aux soldats pour être utilisée sur le champ de bataille subit un long processus. Le soldat, utilisateur de l’arme, n’est que le dernier maillon d’une chaîne qui commence dans les bureaux des ministères. Une fois en possession de son armement, le militaire et son armement se confondent. Dans de nombreux états de situation ou de relations de guerre, l’homme disparaît derrière ses armes. On parle du nombre de pièces de canon en oubliant les 5 à 6 servants pour opérer les tirs, de même on parle fréquemment du nombre de baïonnettes pour dénombrer les fantassins ou de sabres pour les cavaliers. On touche là à une logique comptable ou narrative, mais la fusion du soldat et de son armement relève d’une forme de réalité. Dès avant le champ de bataille, l’arme devient le prolongement du soldat qui se l’approprie après un long entraînement. Au combat, elle devient un gage de sa confiance dans l’affrontement et la garantie de sa survie. Parfois élevé au rang de récompense comme sous la Révolution, lorsque la logistique fait défaut les armes sont ce qui assure la pitance du soldat qu’il récupère sur les civils. Elle lui donne une supériorité sur les civils qui poussent certains militaires aux pires exactions. Mais lorsqu’il dépose les armes, le soldat perd une partie de son essence et de son utilité pour l’État. Comme un symbole la carrière du militaire prisonnier est suspendue jusqu’à sa libération. Le couple soldat et armement est tellement imbriqué qu’ils façonnent l’image que l’on se fait d’une guerre. Que serait l’artilleur ou le grenadier napoléonien sans sa pièce de 12 Gribeauval et son fusil modèle 1777 ? Comme les sabres de la manufacture de Klingenthal pour les cavaliers, les armes mises au point par Gribeauval incarnent et symbolisent les guerriers du Premier Empire.
Les armes en tant que sujet d’étude sont ainsi à la confluence de nombreuses thématiques qui ont participé au renouvellement historiographique de ces dernières années. L’histoire économique, financière et technologique est désormais au cœur des questionnements, comme le sont depuis de nombreuses années les questions institutionnelles, sociales ou anthropologiques. Dans cette perspective, et fidèle aux principes qui ont guidé à leur création, il était naturel que les Rencontres militaires de Napoleonica dans la revue se saisissent de ce thème porteur de nombreux questionnements et qui résonne en partie avec l’actualité. Avec nos partenaires du Musée de l’Armée et du Service historique de la Défense, pour cette 4e édition, nous avons fait le choix d’un titre ambitieux : « D’un Empire à l’autre emploi, évolution et symbolique de l’armement français », qui promet des débats riches d’enseignements. Comme les précédentes éditions, nous sommes accompagnés par le magazine Guerre et Histoire et Le Figaro Histoire.
François Houdecek, responsable des projets spéciaux de la Fondation Napoléon (septembre 2025)