Une chronique de François Houdecek : la guerre en Ukraine est-elle pour partie une répétition des conflits napoléoniens en Espagne et en Russie ?

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Depuis un an, l’invasion de l’Ukraine a marqué le retour de la guerre sur le continent européen. Cette réapparition d’un conflit classique entre deux États a surpris nombre de polémologues qui pensaient qu’une guerre de ce type n’était plus possible. Dès lors, de nombreux analystes ont cherché des points de comparaison avec des conflits passés, napoléoniens notamment.

Une chronique de François Houdecek : la guerre en Ukraine est-elle pour partie une répétition des conflits napoléoniens en Espagne et en Russie ?
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Quand la Russie déclencha son offensive, on pensa que le conflit serait de même nature que la guerre d’Espagne qui ensanglanta la Péninsule de 1808 à 1814. On évoqua alors la possibilité d’une guerre asymétrique, c’est-à-dire opposant une armée régulière à une guérilla opiniâtre. Le siège comme le bombardement de grandes villes du pays pouvait en effet rappeler la guerre de siège (Saragosse en tête) qui eut lieu dans la Péninsule. Mais très rapidement, l’Ukraine ayant résisté militairement, on constata que l’on se dirigeait plutôt vers une guerre conventionnelle entre deux adversaires finalement de forces égales. Le scénario napoléonien de la guerre de la Péninsule ne se répète donc point pour le moment.

Les problèmes logistiques rencontrés par l’armée russe dans les premières semaines de l’invasion ont poussé certains analystes à convoquer la campagne de Russie de 1812 et ses nombreuses lacunes opérationnelles. C’était oublier que Napoléon prépara cette campagne avec minutie. Les centaines de lettres expédiées en 1811 et 1812 (prochainement en ligne sur Napoleonica® les archives) sur l’organisation logistique ainsi que sur le ravitaillement témoignent ainsi du soin que Napoléon apporta à la planification de cette guerre qu’il voulait courte. Les moyens humains et matériels avaient donc été pensés en conséquence.

C’est en faisant durer la campagne, et en entraînant toujours plus loin de leur ligne d’approvisionnement les Français que les Russes mirent en échec la grande armée de Napoléon. Au départ, tout se déroula plutôt bien pour les soldats de Napoléon. Dans le conflit ukrainien au contraire, la logistique de l’armée russe montra dès les premiers jours de l’offensive ses limites comme en témoignent la colonne de véhicule bloquée pendant de longues journées par manque de carburant sur la route de Kiev, les exemples de soldats affamés ou privés d’équipements adéquats.

La campagne de 1812 fut également rappelée à propos de la « raspoutitsa », ce moment de dégel et d’intenses précipitations qui transforme les terrains plats en piège mortel pour les véhicules, et qui a eu son importance dans le conflit actuel. Ce phénomène sévit au printemps et à l’automne en Russie, Ukraine et Biélorussie. Or, la campagne de Russie de 1812 se déroula de juin à décembre. Si les phénomènes climatiques, orages, chaleur et poussière jusqu’en septembre, puis froid et neige lors de la retraite, eurent un impact indéniable sur les opérations, en revanche, à suivre les soldats, si la boue put compliquer parfois les déplacements, elle ne fut pas un problème majeur de cette campagne, contrairement à celle de 1807 en Pologne, ou en 1814 en France. Là encore, par pure méconnaissance historique, on s’est trompé de conflit.

Analyser l’histoire militaire par des exemples historiques est un exercice que les historiens et les militaires ont fait depuis que la guerre est un sujet d’étude. Néanmoins, formuler à chaud des comparaisons historiques montre toutes les limites d’un tel exercice. Elle est très révélatrice de notre société de la surinformation, où le conflit se vit en direct au travers des réseaux sociaux et des chaînes en continu. Comme les précédents, le conflit en Ukraine n’échappe pas à cette règle. La technologie y par exemple est omniprésente : missiles hypersoniques, drones, obus d’artillerie téléguidés, fantassins pouvant combattre de jour comme de nuit, utilisation des satellites et des communications pour localiser les adversaires et guider les frappes, etc. Ces dernières technologies militaires ont à l’évidence modifié la manière de faire la guerre même s’il reste de nombreux invariants.

La tactique guerrière répond en effet à des règles très basiques que l’on retrouve dans à peu près tous les conflits. Les exemples de mouvements d’enveloppements effectués par les troupes ukrainiennes pour reprendre certaines villes à l’automne 2022 sont ainsi très parlants. Autre constante, il arrive très souvent qu’un belligérant soit soutenu par une autre puissance engagée directement ou indirectement dans le conflit. Ce fut le cas par exemple lors du conflit espagnol de 1808 à 1814. Il est fort probable que sans l’assistance humaine et matérielle britannique, l’Espagne de Charles IV malgré tout le courage d’une résistance acharnée n’aurait pas vaincu l’armée française. De la même manière, l’Ukraine de Zelenski n’aurait pas aussi bien renversé le rapport de force sans les renseignements, l’armement et les crédits occidentaux. Dès lors, peut-on là trouver un petit point de comparaison entre deux conflits aussi éloignés dans le temps que bien distincts dans leur déroulement.

Au fond, il faut toujours sans cesse répéter le fameux adage : quand comparaison n’est pas raison.

François Houdecek
Mars 2023

François Houdecek est responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon.

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