Né en 1920 dans le 14e arrondissement de la capitale, la biographie de ce Titi parisien a nourri son écriture. Chroniqueur littéraire dans la presse peu recommandable des années 40, il est pris dans les soubresauts de la guerre et de la Libération. Peu impliqué, le temps de la reconstruction est néanmoins difficile. Il vivote comme livreur de journaux, puis comme journaliste. Des chroniques sur l’Asie rédigées sur les comptoirs des bistrots parisiens lui valent d’être remercié de l’Étoile du Soir. Admirateur des dialogues de Prévert, le monde du cinéma le fascine. Pour s’en rapprocher, il écrit des critiques de films. C’est en 1949 qu’il fait ses premières armes comme dialoguiste. Le succès est très rapidement au rendez-vous.
Audiard riait de sa petite éducation et de son manque de culture, mais corrigeait immédiatement en déclarant qu’il avait des lectures. Proust, Hugo, Céline, etc., la littérature n’avait pas de secret pour lui. S’il maniait parfaitement la langue de Molière, il préférait celle des zincs parisiens qui fleurit dans ses dialogues. Lecteur compulsif, il dévorait tous les ouvrages qui lui tombaient sous la main ! L’histoire fut nécessairement au menu. C’est sans surprise qu’en tendant l’oreille les références historiques sont fréquentes… et l’épopée impériale est une invitée récurrente des saillies du dialoguiste.
Dans un Singe en hiver (1963), Jean Gabin incarne Albert Quentin, un vétéran de Chine porté sur la bouteille. En juin 1944, l’hôtel qu’il gère avec son épouse à Tigreville en Normandie est sous les bombardements. Pris de boisson et sentant la libération, Quentin se met à la fenêtre et hurle « Aux chiottes les Teutons. Arrête Albert ! tu vas nous faire fusiller » lui répond sa femme, réplique du vétéran : « J’commanderai le peloton comme le maréchal Ney… Droit au cœur, messieurs ! » À l’issue Gabin fait la promesse de ne plus boire… on sait ce qu’il advient ! À l’époque où Alain Decaux et André Castelot régnaient en maître, Michel Audiard reprend les dernières paroles du maréchal presque mot pour mot, ou au moins celles que la légende dorée véhiculait.
La citation est moins précise mais tout aussi savoureuse dans un Taxi pour Tobrouk (1961) : « Vous connaissez mal les Français. Nous avons le complexe de la liberté, ça date de 89. Nous avons égorgé la moitié de l’Europe au nom de ce principe. Depuis que Napoléon a écrasé la Pologne, nous ne supportons pas que quiconque le fasse à notre place. » Cette réplique de François Gensac (Maurice Biraud) à Von Stengel (Hardy Krüger) est assez critique, mais incarne probablement ce que pensait Audiard de l’épopée impériale et de Napoléon. Comme son ami Jean Gabin, l’homme était après-guerre gentiment nihiliste, voire anarchiste, et ne goûtait pas beaucoup les hommes politiques et l’autorité.
Audiard est surtout connu pour ses dialogues dans les adaptations des romans noirs d’Albert Simonin. Dans Le cave se rebiffe (1961), Ferdinand Maréchal, dit le Dabe (le père), incarné par Gabin, est un voyou spécialisé en fausse mornifle (l’argent) sorti de sa retraite par Bernard Blier (Charles Lepicard). Alors que le Dabe cherche à dissimuler les épreuves de faux billet et que le second se propose de les garder, Gabin répond : « Je connais ton honnêteté, mais je connais aussi mes classiques. Depuis Adam laissant s’enlever une cote, jusque Napoléon attendant Grouchy, toutes les grandes affaires qui ont foirés étaient basées sur la confiance. » Second volet de la trilogie de Max le Menteur écrit par Simonin, le Cave, est traité sous l’angle d’une comédie que les mots du dialoguiste parsèment de répliques qui claquent à l’oreille. Dans ce cycle, les Tontons flingueurs (1963) est un modèle du genre. Le bureau du Mexicain qu’investit Monsieur Fernand (Lino Ventura) après la mort du vieux voyou est un petit temple impérial ! Buste de Napoléon sur la commode, tableau de bataille et sabre suspendus au mur, modèle réduit de canon, soldats de porcelaine, etc. Georges Lautner a veillé aux détails visuels, Michel Audiard aux paroles. Au début du film, alors que Fernand vient de se faire mitrailler et s’élance vers la maison de jeu clandestine, son porte-flingue (Venantino Venantini) lui demande de rester en arrière. Réplique cinglante : « N’empêche qu’à la retraite de Russie, c’est les mecs qu’étaient à la traîne qui se sont fait repasser. » Audiard affûtait ses dialogues et ne supportait pas que les acteurs changent ne serait-ce qu’un mot à son travail d’écriture, ce qui donnait quelques difficultés notamment à Lino Ventura qui participa à de nombreux films dans lesquels Audiard était impliqué.
En 1965, Michel Audiard scénarise et écrit les dialogues de Ne nous fâchons pas. Lino Ventura y incarne Antoine Beretto, truand en retrait, qui est impliqué malgré lui dans un conflit avec des voyous britanniques sur la Côte d’Azur. Avec son ami Jeff (Michel Constantin), qui tient un restaurant à Antibes, il se retrouve à protéger Léonard Michalon (Jean Lefebvre) qui doit de l’argent aux différents protagonistes ! Antoine tente désespérément de calmer la situation, tandis que les Anglais emploient les grands moyens jusqu’à faire sauter le restaurant, résidence de la petite bande. Jeff tente alors de remonter le moral d’Antoine par ces mots : « J’dis pas qu’c’est Austerlitz mais fais pas cette gueule-là ! » Sans domicile, le trio se retrouve sur les routes…
Lorsqu’il s’éteint en 1985, la filmographie de Michel Audiard comme dialoguiste, scénariste puis réalisateur est impressionnante. Jean Gabin, Lino Ventura, Bernard Blier, André Pousse ou Marlène Jobert y ont incarné sans beaucoup de peine des personnages aux mots affûtés. Ces quelques répliques tirées des plus grands succès du dialoguiste ne sont probablement que quelques-unes des références à l’Empire et son histoire… Alors, quand vous regardez un film d’Audiard, ouvrez vos esgourdes !
François Houdecek, responsable des projets spéciaux de la Fondation Napoléon (janvier 2025)