Une chronique de François Houdecek : « Les civils face aux militaires de la guerre à la paix sous le Premier Empire »

Auteur(s) : HOUDECEK François
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L’histoire militaire à la française s’est longtemps intéressée à la stratégie ou la tactique, faisant des batailles et des mouvements de troupes les points centraux des récits. Cette histoire militaire dite « à l’ancienne » est désormais largement révolue. S’inspirant des War Studies anglo-saxonnes (histoire multidisciplinaire qui englobe : étude stratégique, diplomatique, sociale, économique, etc.) l’histoire militaire en France connaît un important renouveau qui, porté par la conflictualité ambiante, favorise l’étude de thématiques plus nombreuses et permet d’étudier la guerre comme un fait global.

Une chronique de François Houdecek : « Les civils face aux militaires de la guerre à la paix sous le Premier Empire »
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

L’histoire militaire napoléonienne n’échappe évidemment pas à ce mouvement, et profite de l’occasion pour faire sa mue. Il reste néanmoins de nombreuses zones d‘ombres que la Fondation Napoléon met en lumière annuellement, à travers les Rencontres militaires de Napoleonica la revue. Parmi ces thématiques encore « en jachère », les études sur les civils dans et face à la guerre, déjà nombreuses pour le XXe siècle, sont en plein développement pour la période napoléonienne.

Au début du XIXe siècle, aucune règle ne régissait formellement la guerre. Le Droit des gens, qui tenait lieu de droit de la guerre, restait au bon vouloir des belligérants. Il reposait notamment sur le principe de la réciprocité des pratiques guerrières et sur l’idée que, sur le champ de bataille, n’étaient présents que les seuls combattants. On considérait donc que les civils, supposés être absents de la zone des combats, devaient de fait être tenus à l’écart des affrontements. Pendant les premiers temps du conflit, hormis dans le cadre des guerres civiles, les populations ne furent pas considérées comme des cibles. Les premières occupations (rive gauche du Rhin, Belgique, Italie), puis des capitales (Vienne, Berlin, etc.) se firent dans un certain respect, qui ne constituaient pas un enjeu.

Certes, les « malheurs de la guerre » s’abattirent régulièrement sur les populations, victimes collatérales du passage des armées, des occupations, ou des combats, mais sans que l’on y voie autre chose que des conséquences indirectes du conflit en cours. Les quelques condamnations de soldats-criminels n’y firent rien. La justice militaire, souvent laxiste, fut, comme auparavant, dans l’incapacité de limiter les exactions sur les civils liées aux maraudes, mal endémique des armées révolutionnaires puis impériales.

Dans ce conflit européen, qui s’étala sur une quinzaine d’années, le rôle des civils évolua progressivement pour devenir une donnée importante dans la conduite des opérations car ils furent nombreux à directement prendre part aux combats. En Italie d’abord, puis en Espagne ainsi qu’en Russie, les civils résistèrent aux armées françaises considérées comme des envahisseurs. Minimisant cette évolution dangereuse pour son Empire, Napoléon, dans sa correspondance, les qualifiait de « brigands ». Ce choix lexical était important parce qu’il les excluait des porteurs d’uniformes, et donc du cadre de la guerre, mais les positionnait également en dehors des populations civiles, ce qui justifiait qu’ils soient traités avec la plus grande fermeté. La répression, notamment dans la Péninsule Ibérique, s’exerça parfois sans aucune retenue.

Pour comprendre l’interaction des civils et des militaires en zone de guerre, la correspondance des militaires est précieuse. Y sont évoquées les personnes rencontrées, mais également les différences culturelles, qui constituent autant de surprises pour des soldats déracinés. Les interactions, fréquentes entre occupants et occupés, se traduisirent par la création de liens plus ou moins durables. Pour certains, ce fut l’occasion de trouver l’amour ou de se marier.

Au sein même de l’Empire, civils et militaires étaient contraints à cohabiter. Le voisinage d’un dépôt ou d’un camp militaire n’était pas de tout repos pour les populations. Si l’image du soldat paillard et dangereux du XVIIIe siècle s’estompait progressivement, le militaire restait un voisin encombrant, parfois violent. S’ajoute à cela le fait que les routes de l’Empire étaient parcourues en tous sens par des détachements qui, le soir venu, devaient trouver un lit dans les villes et villages d’étapes. À une époque où le prestige de l’uniforme rendait particulièrement orgueilleux, certains soldats se sentaient supérieurs, attendant des civils qu’ils leur fournissent tout ce dont ils avaient besoin… et parfois davantage.

Au-delà des violences matérielles et physiques directement liées au conflit, les familles connurent la souffrance de la séparation. Gérer l’absence et le deuil, souvent sans corps, constitua ainsi le quotidien de la société de l’Empire. Mais cet état de « société en guerre » profita à bien des opportunistes. Les affaires furent ainsi très profitables pour ceux qui livrèrent uniformes, chevaux et vivres aux armées !

Cette histoire des civils est, on le voit, riche de thématiques et d’angles de recherche que la journée d’étude, qui se tiendra le 22 octobre prochain à la Fondation Napoléon, s’attachera de défricher.

François Houdecek, responsable des projets spéciaux de la Fondation Napoléon (octobre 2024)

Voir le programme de la journée d’étude du 22 octobre 2024

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