Une chronique de François Houdecek : Lui, Lui partout…même chez les opticiens ?

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Il est des hommes auxquels on prête toutes les vertus, toutes les découvertes et toutes les révolutions… même les plus banales. Tout leur est attribué comme si finalement ils étaient tellement géniaux que seuls eux avaient pu prendre l’air du temps, et comprendre ce que serait l’avenir. Napoléon est de ceux-là ! Beaucoup – Français comme étrangers – pensent que l’Empereur est à l’origine d’une foule de petites choses qui aujourd’hui font notre quotidien. C’est ainsi que tourne en Russie, et un peu dans le monde anglo-saxon, l’idée que lors de la campagne d’Égypte, pour protéger les yeux de ses soldats, Napoléon aurait favorisé l’usage des lunettes de soleil.

Une chronique de François Houdecek : Lui, Lui partout…même chez les opticiens ?
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Depuis la plus haute Antiquité sévissait de manière endémique en Égypte une maladie oculaire : l’ophtalmie. Inconnue des médecins français, elle attaqua la troupe dès les premières marches dans le désert, et ensuite durant toute la campagne, les membres de l’expédition qu’ils soient soldats, officiers ou savants.

Les célèbres Larrey, Percy, Desgenettes et de nombreux autres y allèrent de leurs commentaires pour comprendre les sources de la maladie. Ils incriminèrent successivement : les marches forcées, la lumière du soleil, l’alternance importante des températures diurnes et nocturnes, le vent du désert, les crues du Nil, les mouches, les affections vénériennes ou encore la couleur blonde des cheveux, etc. Autant de pistes pour autant d’incompréhensions face à cette maladie dont les soins étaient plus ou moins couronnés de succès, et qui dans les cas les plus graves pouvaient engendrer la cécité.

Face à cette pathologie, les médecins cherchèrent à prévenir le mal par l’observation des populations locales et leurs connaissances. Il était conseillé par exemple d’éviter les courants d’air et les endroits humides, de garder le ventre libre, de se laver les yeux fréquemment, de garder les cheveux longs mais se les laver souvent, porter un bournous, dormir la tête et les yeux couverts, etc.

Parmi toutes ces solutions, il fallait éviter l’exposition trop forte aux rayons ardents du soleil. Certains plus inventifs que d’autres imaginèrent donc le port de lunettes aux verres teintés. Le napolitain Antonio Savaresi, reprit l’idée de l’ingénieur Jollois qui, pour « garantir » ses yeux « du trop vif éclat du soleil », s’était confectionné des lunettes de soleil au moment de la bataille des Pyramides (21 juillet 1798). Mais il était bien seul ainsi à prêcher dans le désert… Plus tard l’opuscule écrit par Savaresi au retour de l’Égypte inspira les docteurs Lafisse, médecin du roi de Hollande, et Bruant qui proposèrent d’inclure dans les schakos deux monocles de verre couleur vert-pâle rétractibles afin de protéger les yeux des soldats. Une idée qui resta dans les cartons hollandais…

Mais qu’en pensait Napoléon ? Grâce à la Correspondance générale, on connaît sa position au moins pendant l’Expédition. Pour éviter « les maux d’yeux » écrit-il à Desaix, il faut porter « un gilet de flanelle » (Correspondance générale, lettre n° 4 380). De même à Eugène : « Ayez soin de ne pas coucher à l’air et les yeux découverts » (Correspondance générale, lettre n° 3 940). Suivant les recommandations des médecins, ces conseils avaient été traduits en ordre du jour pour l’armée dès octobre 1798 (Correspondance générale, lettre n° 3 581), ce qui n’évita pas les nombreux cas d’ophtalmie dans les mois qui suivirent. Mais de lunette de soleil nulle trace ! Elles auraient pourtant été très utiles lors de la retraite de Russie, durant laquelle une forme d’ophtalmie frappa à nouveau les soldats.

Grâce aux progrès médicaux, comme l’a montré Jean-François Hutin (La campagne d’Égypte : une affaire de santé, Paris, Éditions des glyphes, 2011), 200 ans plus tard on sait que l’ophtalmie d’Égypte recoupe en réalité trois à quatre affections différentes.

Mais si « Napoléon promoteur des lunettes de soleil » est une légende aisée à démonter, il s’avère en revanche plus compliqué d’en connaître la source. Probablement un opticien en manque de publicité qui aura voulu capitaliser sur l’image et le nom iconique de Napoléon !

 

François Houdecek, chargé des projets spéciaux à la Fondation Napoléon.

Février 2019

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