Une chronique de François Houdecek : Napoléon Bonaparte à Brienne

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Le 15 mai 1779, après quatre mois au collège d’Autun, le jeune Napoléon Bonaparte entrait à l’École militaire de Brienne.

Une chronique de François Houdecek : Napoléon Bonaparte à Brienne
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

De ce séjour scolaire et initiatique de presque 5 ans, on sait à la fois beaucoup et peu. Trois témoignages de condisciples dont un en anglais publié en 1797, quelques documents de scolarités, et surtout les deux premières lettres officiellement recensées qui sont les numéros 1 et 2 de notre Correspondance générale. C’est peu pour reconstituer quatre années de vie du futur Empereur ! Quand la mise en ligne de la Correspondance générale fait apparaître une lettre de Napoléon à un de ses professeurs, la curiosité est piquée !

La missive datée du 14 avril 1797 est adressée au citoyen Leroy, curée d’Iges.

« J’ai reçu votre lettre. J’ai appris par elle avec plaisir de vos nouvelles. J’ai quelques fois pensé aux soins que vous vous donniez pour mon enfance. J’avais plusieurs fois demandé de vos nouvelles à des habitants de Sedan.

Je vous remercie des choses honnêtes que vous me dites, et je vous prie de croire au désir que j’ai de faire quelque chose qui vous soit agréable et vous exprime l’estime que j’ai toujours eue pour vous. »

La scolarité de Brienne a souvent été décrite comme une période de souffrance pour le jeune « Napolioné » Buonaparte. Coupé de sa famille alors qu’il n’avait que 10 ans, il se retrouva seul, au cœur de la Champagne loin de la douceur de sa Corse natale. De caractère sage et réservé, au milieu des apprentissages de la discipline, il aurait subi les quolibets et les railleries incessantes de ses condisciples. La puberté et ce harcèlement l’auraient rendu taciturne, et surtout plus corse que français pour les 10 années qui suivirent ! Dans cet environnement anxiogène, il y aurait eu peu de soutien et de distraction pour le jeune homme.

Avec l’abbé Patrauld, professeur de mathématiques, dont Napoléon se souvient à Sainte-Hélène, cet abbé Jean Leroy, semble avoir été l’un des seuls professeurs à avoir soutenu le jeune garçon durant ses premières années d’études. Cette missive montre que Napoléon n’a pas oublié son enseignant dont il aurait cherché à avoir des nouvelles.

Qui est-il ? Les biographes successifs de Napoléon se sont attachés à reconstituer la vie et l’entourage du jeune homme dans ses années d’écoles. Arthur Chuquet puis l’abbé Arthur Prévost ont été les deux auteurs qui s’y employèrent le plus. Ils nous en apprennent un peu plus sur ce professeur qui n’a pas laissé beaucoup de traces.

Jean Leroy, est né à Floing, non loin de Sedan, en 1758. Fils du recteur de l’école de la paroisse de sa ville, il prononça ses vœux le 11 décembre 1780 à Vitry-le-François. Doté d’une bonne culture littéraire héritée de son père, Jean intégra l’école militaire de Brienne en tant que professeur de Belles Lettres. À 22 ans, il était l’un des douze Minimes à enseigner aux jeunes garçons de l’aristocratie séjournant dans l’internat créé en 1776. En 1787 et 1788, il figure à la tête des classes de cinquième et quatrième. Embrassant la constitution civile du clergé, il enseigna à l’école jusqu’en mars 1791, date de son élection à la cure d’Iges près de Sedan. On perd ensuite sa trace, et à une date inconnue, il prit la cure de Nouvion-sur-Meuse où il vivait encore en 1817.

L’importance des professeurs dans les apprentissages n’est plus à démontrer, peut-être Napoléon tint-il son goût de la littérature de Jean Leroy, qu’il semblait beaucoup estimer.

La date de la lettre n’est pas anodine. En 1797, après une campagne d’Italie victorieuse, Bonaparte accède à la gloire et à la notoriété. Le bon abbé se sera souvenu de cet élève un peu réservé qui désormais faisait de grandes choses. Peut-être espérait-il suivre son ancien collègue l’abbé Patrauld qui, dès 1796, avait rejoint Bonaparte en Italie. Le général en chef en avait fait un temps son secrétaire, mais peu apte au combat, il l’avait fait employé auprès des fournisseurs à Milan où l’ex-abbé sut faire de bonnes affaires. On ne sait pas s’il y eut une suite à cette lettre de Bonaparte, mais il est vrai que jusque dans son testament, Napoléon ne manqua jamais de témoigner sa reconnaissance à ceux qui dans sa jeunesse l’avaient soutenu.

Cette lettre, qui lève un petit coin de voile, se cachait dans les archives de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Sedanais que nous remercions de cette communication. Publiée dans le bulletin de cette association en 1937, elle était passée inaperçue dans nos recherches. Désormais sous le numéro CGS-525, elle a rejoint les 40 582 lettres de Napoléon en ligne gratuitement sur Napoleonica® les archives. C’est une nouvelle preuve que notre travail ne sera jamais complètement terminé, mais la quête est chaque fois plus passionnante encore !

François Houdecek, responsable des projets spéciaux de la Fondation Napoléon (mai 2024)

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