Une chronique de Jacques Macé : le marronnier du 20 mars

Auteur(s) : MACÉ Jacques
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Le 9 janvier dernier, l’anniversaire du décès de l’Empereur Napoléon III a donné lieu, comme tous les ans, à des articles de presse – et messages médias – évoquant ou demandant le retour en France des Cendres de « l’empereur, sa femme et le petit prince », inhumés selon le désir de l’Impératrice Eugénie dans la crypte de l’abbaye Saint-Michel de Farnborough, près de Londres. Il s’agit du genre d’article récurrent, à date fixe, appelé marronnier en langage journalistique. Mais sait-on que ce terme trouve son origine dans l’histoire napoléonienne ?

Une chronique de Jacques Macé : le marronnier du 20 mars
Jacques Macé © jubileimperial.fr

Le 9 janvier dernier, l’anniversaire du décès de l’Empereur Napoléon III a donné lieu, comme tous les ans, à des articles de presse – et messages médias – évoquant ou demandant le retour en France des Cendres de « l’empereur, sa femme et le petit prince », inhumés selon le désir de l’Impératrice Eugénie dans la crypte de l’abbaye Saint-Michel de Farnborough, près de Londres. Il s’agit du genre d’article récurrent, à date fixe, appelé marronnier en langage journalistique. Mais sait-on que ce terme trouve son origine dans l’histoire napoléonienne ?

Au milieu du XVIIIe siècle, un arbre de l’allée centrale du Jardin des Tuileries – bordée de chaque côté de deux alignements de marronniers – était célèbre car, chaque année, il fleurissait dès la mi-mars, bien avant les autres. L’anecdote est avérée dès 1746. Le 10 août 1792, deux gardes suisses massacrés lors de la prise des Tuileries furent inhumés au pied de ce marronnier. Pour les royalistes, l’arbre «aux racines nourries du sang des Suisses’’ devint un lieu secret de recueillement.

Le 20 mars 1811, la foule parisienne comptait avec impatience les coups du canon des Invalides. Au vingt-deuxième coup, elle éclatait de joie : c’était un garçon ! L’avenir de l’Empire et de la dynastie était assuré. Et, ce jour-là, les bourgeons du marronnier des Suisses éclataient en nouvelles feuilles et fleurs blanches. Le marronnier des Suisses devint le ‘‘marronnier du Roi de Rome’’. Quatre ans plus tard jour pour jour, le 20 mars au soir, Napoléon 1er regagnait, après un détour par l’île d’Elbe, son palais des Tuileries quitté quatorze mois plus tôt. Le marronnier était en pleine fleuraison et on ne manqua pas de le signaler. Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, le ‘‘marronnier du 20 mars’’ sera un lieu de culte et de rassemblement confidentiel pour les anciens Grognards, puis pour aussi bien les bonapartistes que les napoléoniens.

A partir de 1848, le marronnier devint une curiosité parisienne évocatrice à la fois de la naissance du Fils et du retour du Père. Les journalistes guettaient chaque année sa fleuraison précoce et consacraient à son histoire un article assorti de supputations sur les causes de sa précocité. Ainsi est née la tradition journalistique de donner le nom de marronnier aux articles revenant à date fixe dans la presse. Dès les premiers beaux jours, on disait : «  C’est le printemps, parole de marronnier des Tuileries ».

La tradition de se rassembler au pied du ‘‘marronnier du 20 mars’’ se poursuivit, avec il est vrai un public de plus en plus restreint, jusqu’en 1911, année où il fut endommagé et périt à la suite d’un mini-tremblement de terre à Paris. Son tronc vermoulu fut coupé en 1913 et un jeune arbre fut planté à son emplacement pour maintenir l’alignement.

Deux guerres mondiales plus tard, l’antenne parisienne du Souvenir napoléonien retrouvait une nouvelle vigueur sous l’impulsion du vice-président, puis président, Jean Fauvel. Celui-ci organisa en 1965 un rassemblement pour commémorer le cent-cinquantenaire du Retour de l’île d’Elbe le 20 mars au Jardin des Tuileries, au pied du marronnier dit ‘‘du 20 mars’’, devenu un bel arbre de quatre-vingts centimètres de diamètre.

En raison du succès, la commémoration fut répétée et les manifestations du 20 mars 1966 et du 20 mars 1967 réunirent trois cents personnes qui défilèrent de l’entrée, place de la Concorde, jusqu’à l’autre extrémité du jardin. Le bulletin Le Souvenir Napoléonien d’avril 1967 en rend compte sur ses trois premières pages : au pied du marronnier, non en fleurs mais ceint d’un ruban tricolore, le public écoute religieusement le récit du Retour de l‘île d’Elbe par le comte Le Marois, descendant de l’aide de camp de Napoléon, et la lecture de la proclamation de Golfe-Juan[1] par l’acteur Albert Dieudonné, interprète du film Napoléon d’Abel Gance. La journée se poursuivit par un banquet dans les salons de Rhin et Danube, en présence du prince Achille Murat et de Melle Amélie Santoni, Miss Corse 1967.

Mais, à aucun moment, ne fut évoqué l’anniversaire du Roi de Rome. Car, comme avait dit le préfet de police Frochot auquel on reprochait son manque de réactivité lors du complot du général Malet : « Que voulez-vous ? Ce diable de Roi de Rome, on n’y pense jamais ! ». La commémoration du 20 mars 1815 aux Tuileries ne s’est pas perpétuée officiellement au-delà de 1967, supplantée par celle du Débarquement à Golfe-Juan et celle de la Rencontre de Laffrey. Un rassemblement eut bien lieu en 2015 mais uniquement au pied de l’Arc du Carrousel.

Bien sûr, je suis allé au Jardin des Tuileries. Grâce aux photos de 1967, j’ai pu  identifier sans ambigüité l’emplacement[2]… mais j’y ai trouvé un marronnier d’une vingtaine d’années, de vingt-cinq centimètres de diamètre. En effet, les marronniers des Tuileries, affaiblis par la pollution, sont frappés de deux maladies, la mineuse du marron (Cameraria ohridella), due à une chenille venue de Macédoine, et surtout le chancre bactérien (Pseudomonas syringae pv. Aesculi), venu de l’Himalaya et qui fait périr l’arbre en deux ou trois ans. Depuis une vingtaine d’années, les arbres atteints sont systématiquement abattus pour limiter la propagation de la maladie et remplacés. Aujourd’hui, la grande majorité des marronniers des Tuileries sont de jeunes arbres.

Assis sur le banc de pierre au pied du ‘‘marronnier du Roi de Rome’’ ressuscité[3], j’ai médité. Il est illusoire d’imaginer une reconstruction du Palais des Tuileries[4] mais je me souviens avoir, tout jeune en 1947, essuyé une larme aux Invalides devant le sarcophage du Roi de Rome, Napoléon II pendant trente-six heures puis duc de Reichstadt. Ne devrait-on pas faire resurgir ce sarcophage ? Car, en raison de son caractère par trop autrichien, il a été en 1969, sur décision du général de Gaulle prise peu avant celle de démissionner, enfoui sous une simple dalle de marbre, dans le déambulatoire de la crypte des Invalides, laissant indifférent le visiteur qui tourne autour du sarcophage de quartzite[5] pour le voir sous tous les angles.

Je retournerai aux Tuileries le 20 mars pour surveiller la fleuraison[6] du marronnier…

Jacques Macé

Janvier 2019

Jacques Macé est historien et administrateur de la Fondation Napoléon.

Notes

[1] « Et l’Aigle avec les couleurs nationales volera de clocher et clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ». Proclamation qui dut inspirer un autre général quand, à Koufra, il lança : « Et nous ne nous arrêterons que lorsque nos trois couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ». Car l’histoire est une.

[2] Passer sous l’Arc du Carrousel, traverser le « palais des Tuileries » entre les Nus de Maillol et contourner le grand bassin par la gauche. C’est le cinquième marronnier dans l’alignement derrière la statue d’Hercule Farnèse par Giovanni Comino (le quatrième a sa gauche a été replanté tout récemment et, à sa droite, il y a un banc de pierre).

[3] Il s’agit du marronnier, troisième du nom.

[4] Grâce à la magie du cinéma, une magistrale « reconstitution » en figure dans le récent  film L’Empereur de Paris, de Jean-François Richet.

[5] Tout le monde, ou presque, sait aujourd’hui que le sarcophage de Napoléon n’est pas en porphyre.

[6] Ou la floraison, car l’un et l’autre se dit (ou se disent).

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