Une chronique de Jean-Philippe Rey : pour une histoire des femmes sous le Consulat et l’Empire !

Auteur(s) : REY Jean-Philippe
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Depuis plusieurs décennies, l’histoire des femmes et l’histoire du genre se sont considérablement développées en France comme dans le reste du monde. Alors que la première se concentre sur les expériences de vie des femmes dans le passé, la seconde s’intéresse quant à elle aux systèmes symboliques et aux rapports de pouvoir fondés sur la distinction hommes/femmes ainsi qu’à leur évolution.

Une chronique de Jean-Philippe Rey : pour une histoire des femmes sous le Consulat et l’Empire !
J.Ph. Rey, lors de la matinée d'études à l'ICES « Peut-on encore parler de Napoléon ? » (25-11-2022) © ICES

Bien sûr, la distinction initiale entre ces deux approches s’estompe avec le temps. Quoi qu’il en soit, en rendant les femmes enfin visibles, l’histoire des femmes et du genre a considérablement enrichi de ses apports notre connaissance et notre compréhension du passé. Chacune des périodes ou des principaux thèmes de la recherche historique a déjà largement profité de ce renouvellement – pensons à l’histoire de la Révolution française avec les travaux de Christine Le Bozec ou de Jean-Clément Martin par exemple.

Or, l’histoire napoléonienne est à la traîne et ce, malgré l’intense activité à laquelle a donné lieu le bicentenaire. Les synthèses sur le Consulat et le Premier Empire publiées ces vingt dernières années ne consacrent en effet qu’une faible place à ces questions et aucun ouvrage d’ampleur ne leur a été consacré, à une exception notable (JO Boudon, Le sexe sous l’Empire, Vuibert, 2019). Pourtant, je crois qu’il y aurait beaucoup de profit à ce que les historiens de la période napoléonienne s’emparent de ces sujets et s’approprient les grilles de lecture et les outils d’analyse familiers aux spécialistes de l’histoire des femmes et du genre comme il y aurait beaucoup à gagner à ce que ceux-ci s’intéressent davantage à la période du Consulat et de l’Empire.

Cela permettrait en effet de soumettre la période à un questionnement renouvelé et de considérer sous un jour nouveau un certain nombre d’idées reçues. Nul besoin, pour s’en convaincre, d’énumérer les nombreux sujets qui mériteraient d’être ainsi revisités. Je me contenterai ici d’observer que l’étude des campagnes militaires et des discours qui les ont accompagnées serait sans doute propice à une réflexion sur les représentations et les usages du masculin et du féminin. Le comportement des soldats dans ce contexte mériterait également d’être interrogé.

On pense tout de suite, pour des hommes qui se retrouvent éloignés de leurs familles, privés de femmes, projetés dans un univers où s’estompent les repères moraux et légaux, à l’évolution de leurs pratiques sexuelles, au recours à la prostitution, à la récurrence des viols. Sur un registre moins grave, on sait combien les récits de campagne sont riches de ces cas plus ou moins réputés de femmes qui se travestissent pour accompagner leur mari ou leur amant et en viennent à parfois jouer un rôle militaire. Ces cas représentent sans doute de véritables transgressions de genre. Comment sont-elles jugées et vues par les contemporains ? Alors que les assignations de genre semblent avoir été durcies par la Révolution – c’est en tout cas l’idée communément admise par les chercheurs qui décrivent l’affirmation d’un stéréotype viril avec la Révolution – l’historien pourrait trouver là des éléments de démenti.

Inutile d’aller plus loin : il manque une histoire des femmes sous le Consulat et l’Empire, c’est certain. Et tout aussi urgent apparaît l’enrichissement de l’histoire napoléonienne par le genre, cet outil qui, une fois qu’il est déconnecté de son contenu idéologique, se révèle être une très utile catégorie d’analyse historique.

Jean-Philippe Rey
Janvier 2023

Jean-Philippe Rey, agrégé et docteur en Histoire, spécialiste de l’histoire de la ville de Lyon sous l’Empire (boursierde la Fondation Napoléon en 2007 pour la thèse qu’il y a consacrée), objet de sa thèse en 2010, est notamment l’auteur des ouvrages Administrer Lyon sous Napoléon (Éditions du Poutan, 2012), co-auteur des Cent-Jours. Itinéraires politiques et géographiques (Éditions du Poutan, 2015) et des Hommes de Bonaparte – La conquête du pouvoir 1793-1800 (Perrin, 2021). 

► Jean-Philippe Rey était un des intervenants de la matinée d’études sur le thème « Peut-on encore parler de Napoléon ? », co-organisée par l’ICES et la Fondation Napoléon, dans le cadre de la Chaire Napoléon le 25 novembre 2022.  Ce colloque est entièrement et gratuitement en ligne sur Napoleonica® la chaîne de la Fondation Napoléon, sur YouTube.

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