Une chronique de Laura Gutman : « Le Baptême du prince impérial, l’œuvre inachevée de Thomas Couture de nouveau dévoilée au public à Compiègne »

Auteur(s) : GUTMAN Laura
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La salle double du château de Compiègne consacrée à la peinture du Baptême du prince impérial de Thomas Couture s’est enrichie de la présentation de plusieurs esquisses préparatoires. Longtemps utilisée comme atelier pédagogique, elle est à nouveau ouverte au public. Nous avons eu le plaisir de retracer l’histoire mouvementée de ce chef d’œuvre inachevé à la Fondation Napoléon lors de sa visite au château de Compiègne en septembre dernier.

Une chronique de Laura Gutman : « Le Baptême du prince impérial, l’œuvre inachevée de Thomas Couture de nouveau dévoilée au public à Compiègne »
Laura Gutman, Conservatrice, Musées du Second Empire
et de l’Impératrice, Château de Compiègne © Merja Yeung

L’invitation à redécouvrir la peinture de Thomas Couture représentant Le Baptême du prince impérial au château de Compiègne est l’occasion de se pencher sur le destin singulier de cette œuvre magistrale, longtemps dissimulée au public. L’inachèvement de la peinture est la raison première de son absence des salles historiques du château de Versailles, auxquelles elle était initialement destinée. L’exécution saccadée de l’œuvre et son abandon ont tenu à un engagement oral de la commande auprès du peintre, à l’origine d’un vide administratif préjudiciable. À la mort de Thomas Couture en 1879, l’immense toile de 4,80 m sur 7,90 m restait à l’état d’ébauche. Sur le conseil de l’exécuteur testamentaire du peintre, le fondeur Ferdinand Barbedienne, la veuve de Thomas Couture préféra rembourser les sommes perçues pour régler le différend avec l’administration de façon honorable [1]. Le tableau est de ce fait resté dans la famille.

La vaste composition de Thomas Couture n’a cependant cessé d’être suivie par les conservateurs des musées nationaux. La peinture était assez avancée pour pouvoir évoquer la cérémonie du baptême de Louis-Napoléon Bonaparte, fils de l’empereur Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, le 14 juin 1856 à Notre-Dame, ainsi que les enjeux dynastiques du Second Empire. Chef d’œuvre inachevé, son exécution enlevée, éloignée de l’art officiel, devait apporter une dimension artistique à l’évènement religieux, historique et symbolique. Il peut également être vu comme l’expression de l’interruption brutale du Second Empire, relégué aux oubliettes de l’Histoire.

Une note non signée, que nous croyons de Gaston Brière, conservateur au château de Versailles, s’interroge au tournant des années 1920-1930 sur le devenir du tableau. « Comment savoir ce que c’est devenu ? Faire un dossier avec cette note et essayer de répondre à ma question [2] ». La dernière trace conservée était alors un article de Marcel Mirtil, « Histoire de deux tableaux. Le Départ des Volontaires et le Baptême du prince impérial par Thomas Couture », publié en août 1907 dans la revue L’Art et les Artistes :

« J’ai pu contempler le Baptême du prince impérial au plafond du baron Risler-Couture, à Neuilly, où j’ai regretté que cette peinture historique n’ait pu figurer dans quelque musée ou dans quelque palais national. Elle y eût représenté dignement une page de l’histoire du second Empire. La composition en est vigoureuse, et certains détails dans l’expression des physionomies et dans la couleur font prévoir la facture naturaliste et les simplifications picturales de Manet. Il ne faut pas oublier, en effet, que ce peintre a été, à ses débuts, un disciple de Couture, et que toujours, même chez le plus original des élèves, subsiste inconsciemment l’effet des leçons du maître. » [3]

Le tableau de grandes dimensions s’était en effet retrouvé marouflé au plafond de l’hôtel particulier de la fille de Thomas Couture, Jeanne Couture-Risler, ce qui paradoxalement le sauva en l’immobilisant de nombreuses années. Dans un courrier du 4 novembre 1932, Jeanne Couture informait Gaston Brière que son hôtel particulier du 25, rue Chauveau à Neuilly-sur-Seine (aujourd’hui détruit) était échu à sa fille, petite-fille du peintre, Camille Grodet-Moatti [4]. Il était néanmoins occupé par des locataires, qui allaient jouer un rôle inattendu dans l’histoire du tableau.

Pierre Schommer, conservateur à la direction des Musées de France, se trouvait en effet informé par les locataires de l’hôtel particulier, avec lesquels il était apparenté, des visites de collectionneurs. En 1933, il s’inquiétait d’apprendre qu’un amateur américain, conduit par le dessinateur Ferdinand Bac, étroitement associé au Second Empire, s’intéressait au tableau [5]. L’alerte fut de courte durée, et Pierre Schommer relatait à Gaston Brière les paroles sibyllines de Camille Grodet-Moatti, qu’il interprétait comme une donation future :

« Je sais que l’on désire beaucoup le tableau pour Versailles […]. Mais vous pouvez dire aux musées qu’ils seraient bien bêtes de dépenser aujourd’hui un sou pour cette toile, puisque ils [sic] peuvent être sûrs de l’avoir plus tard pour rien. » [6]

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le château de Versailles se préoccupait à nouveau de l’œuvre, et envoyait en 1948 une demande de photographie documentaire [7] . Le château de Compiègne s’intéressait également au tableau pour son musée Napoléon III. Georges Salles, directeur des musées nationaux, avait indiqué en 1944 à Max Terrier, conservateur au château de Compiègne, que la peinture se trouvait toujours au plafond de l’hôtel particulier de Neuilly et lui suggérait d’entrer en contact avec un autre membre de la famille, Edmond Bertauts-Couture [8]. L’intervention de ce dernier auprès de sa cousine Camille Grodet-Moatti permit de résoudre la situation en 1954 [9]. Il fut convenu que les musées nationaux recevraient Le Baptême du prince impérial de Thomas Couture par donation à la condition d’effectuer l’opération de démarouflage et de restauration de la peinture, ainsi que de l’exposer dans « un endroit honorable [10] ».

Bien que la perspective inquiétante d’une vente à la découpe de la toile ait pu être un temps envisagée par la maison Wildenstein en 1958, Max Terrier mit en garde la direction des musées nationaux contre un classement de l’œuvre, à l’encontre duquel la propriétaire était fermement opposée [11]. La vente de l’œuvre fut heureusement abandonnée, peut-être en raison des difficultés liées à la dépose du tableau. L’arrivée dans les collections françaises de « cette toile fameuse que nous surveillons depuis si longtemps [12] », selon Pierre Schommer en 1954, suivit le décès de Camille Grodet-Moatti en 1977.

Un autre obstacle se présentait cependant, lié aux dimensions de la peinture. Depuis 1954, Max Terrier s’inquiétait des conditions d’exposition du tableau : « … à mon grand désespoir, Compiègne n’a pas de salle assez haute, il faut que mon collègue de Versailles étudie la question et, dans ses salles déjà aménagées, trouve un emplacement satisfaisant. » [13] La décision fut prise de sacrifier l’entresol d’une salle du château de Compiègne, autrefois affectée au service de la Bouche, pour obtenir la hauteur nécessaire à son exposition. Les travaux eurent lieu au début des années 1980, la restauration de la toile et sa mise sur châssis étant conduites sur place en 1984 par le restaurateur Emile Rostain [14]. Le 25 juin 1995, à la suite d’une nouvelle restauration d’une partie déchirée [15] de la toile et à l’installation d’un relief d’Antoine Louis Barye rescapé de l’incendie du palais des Tuileries, la salle double était inaugurée par Françoise Cachin, directeur des musées de France [16].

Eloignée du musée du Second Empire, la salle fut ensuite retirée du circuit de visite et dévolue aux ateliers de peinture du jeune public. Depuis les Journées internationales du patrimoine des 21 et 22 septembre 2024, Le Baptême du prince impérial de Thomas Couture est enfin rendu à la visite et à l’admiration du public au château de Compiègne.

Laura Gutman, Conservatrice des musées du Second Empire et de l’Impératrice (novembre 2024)

Les documents originaux et copies ont été consultés à la Documentation et Archives du château de Compiègne.
[1] [Ferdinand] Barbedienne à Monsieur le Sous-Secrétaire d’Etat au ministère des Beaux-Arts. Paris, 19.11.1879. Transcription, Archives du Louvre.
[2] [Gaston Brière ?], cachet « M. N. Versailles », s.d. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[3] Marcel Mirtil. « Histoire de deux tableaux. Le Départ des Volontaires et le Baptême du prince impérial par Thomas Couture ». L’Art et les Artistes, août 1907, T. V., p. 236-241.
[4] Jeanne Thomas Couture à Gaston Brière. [Paris], 4.11.1932. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[5] [Pierre Schommer à Gaston Brière], cachet « M. N. Versailles », s.d. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[6] Pierre Schommer à Gaston Brière, cachet « M. N. Versailles ». 7.06.1933. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[7] Mme. Jalbert à M. Moatti. Château de Versailles, 19.02.1948. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[8] Georges Salles [à Max Terrier]. 23.10.1944. Copie, Archives du Louvre.
[9] [Max Terrier] à Edmond Bertauts-Couture. Compiègne, 2.12.1954. Copie, Archives du Louvre.
[10] Edmond Bertauts-Couture [à Pierre Schommer ?]. Arcachon, 29.10.1954. Copie, Archives du Louvre.
[11] [Max Therrier à Pierre Schommer], Palais de Compiègne, 10.03.1956. Copie, Archives du Louvre.
[12] Pierre Schommer à Max Terrier. 6.11.954. Copie, Archives du Louvre.
[13] [Max Terrier] à Edmond Bertauts-Couture. Palais de Compiègne, 2.12. 1954. Archives Musées nationaux.
[14] Catherine Goupil, Serge Tiers. Rapport d’intervention. Arrivé au musée national du château de Compiègne le 5.2.1996. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[15] Devis attribué à M. Rostain, 1.4.1982. Photographies du rentoilage par M. Rostain, septembre 1984. Documentation et Archives du château de Compiègne.
[16] Dossier de presse. Inauguration. Musée du Second Empire, Salle Thomas Couture, grande composition du Baptême du Prince impérial. Salle Barye, Napoléon III à cheval, bas-relief monumental en bronze. 27.06.1995. Documentation et Archives du château de Compiègne.

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