Une chronique de Marie de Bruchard : la magie blanche de l’ADN

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
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L’ADN est un code. Nous sommes définis (donc finis) par lui, ainsi qu’une bonne partie de la biosphère. Ce code est fondé sur quatre bases azotées : adénine (A), cytosine (C), guanine (G) ou thymine (T). Les combinaisons de ces dernières permettent de coder des protéines qui font « marcher nos machines » : le miracle de la vie sur Terre…
Depuis plus de vingt ans, les lycéens français sont censés apprendre le fonctionnement de l’ADN et d’un « dérivé » de ce dernier : l’ARNm, ce type de protéine qui indique à une partie de la cellule bien spécifique comment produire d’autres protéines. L’apprend-on réellement encore dans les aléas des programmes scolaires ? Il semblerait que beaucoup de nos compatriotes ayant peur des deux vaccins à ARNm développés depuis deux ans pour contrer la COVID-19 ne soient pas familiers avec le fonctionnement de l’ADN. Peut-on leur jeter la pierre pour autant ? Non.

On ne sait pas encore tout expliquer des mécanismes de ce code : jusqu’à très récemment, il était suggéré que la majorité du génome humain ne servait pas à coder une quelconque protéine ; il était même appelé ADN poubelle.  Cette idée est battue en brèche depuis une dizaine d’années et les chercheurs continuent leur oeuvre pour percer les mystères de sa chimie, qui décidément conserve une nature encore magique, près de 80 ans après sa découverte.

Une chronique de Marie de Bruchard : la magie blanche de l’ADN

Cet aspect magique fait peur. Au XIXe s., notamment sous le Second Empire, certains gares ferroviaires étaient réputées apporter de tels maux à la santé des hommes qu’on les a déplacées « hors la ville » (la gare d’Orléans, par exemple, a été construite dans cette crainte à une dizaine de km de la ville, dans le village des Aubrais, en 1853). Oui, ce qu’on ne comprend pas peut faire peur ; le progrès peut donc faire peur.

Mais un code est un outil, il est neutre. L’ADN « aidera » un virus à produire des variants grâce à ses mutations (les mutations sont d’ailleurs le propre du vivant et sans elles, l’évolution des espèces ne se produirait pas) ; il « aidera » tout autant à créer un vaccin contre ce virus, sous l’impulsion des scientifiques. Mais s’il se révélait une aide pour les supports intellectuels humains ? Le considérerions-nous mieux ? Pourrions-nous mieux l’apprivoiser ?

Les Archives nationales nous permettent de nous poser la question. Un dépôt d’archives numériques encodées sur ADN vient d’avoir lieu en son sein. Les textes choisis sont hautement symboliques : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée par Olympe de Gouges en 1791. Ils sont désormais rangés dans l’Armoire de fer.
Il ne s’agit pas du tout d’un gadget ou d’une coquetterie d’ingénieur. Depuis que l’homme est symboliquement entré dans l’ère de l’Histoire en inventant l’écriture, il a cherché à conserver ces traces. « Quels supports sont les plus pérennes ? » : l’évolution de la réponse à cette question (argile, pierre, papyrus, parchemin, papier, numérique, …) nous raconte autant que les constructions monumentales laissées par nos ancêtres. Quel amoureux de l’Antiquité et des humanités en général ne pleure pas en pensant aux pertes irrémédiables lors de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie en -47 ?  À l’ère du numérique, fin XXe et surtout depuis le début du XXIe s., l’homme fait face à des problèmes de stockage de l’énorme quantité de données qu’il a accumulées et souhaite conserver. Numériser a un coût, demande beaucoup d’énergie électrique. Par ailleurs, les supports numériques sont fragiles et facilement obsolètes, comme le démontre l’évolution constante du pdf, ce format souvent privilégié pour numériser les livres avant l’arrivée de l’ePub qui en est à sa troisième version depuis sa création il y a dix ans et ne manquera pas d’être remplacé un jour lui-même par une nouvelle sorte de capsule d’encryptage.
L’ADN apporte de ce point de vue des solutions à tous les problèmes rencontrés jusqu’ici : un code immuable, facilement reproductible et décryptable dans le monde entier, avec une capacité de stockage énorme de données pour un coût faible. Une véritable magie blanche… 

Cette première mondiale est le fruit de la recherche française : souhaitons-lui de tenir ses promesses et saluons les chercheurs du CNRS, de la Sorbonne ainsi que l’esprit d’innovation des Archives nationales.
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Marie de Bruchard
Décembre 2021

Marie de Bruchard est web-éditrice à la Fondation Napoléon.

 

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