Une chronique de Marie de Bruchard : la restitution d’œuvres d’art, une nécessaire montée au calvaire

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
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En parcourant les salles des superbes musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles, le visiteur ne manquera pas de tomber en admiration devant la magnifique Montée au Calvaire de Pierre-Paul Rubens (… et atelier, ce qui se conçoit devant la taille de la toile de 5,50 m de hauteur pour 3,70 m de largeur, comme bien souvent avec les productions du peintre !). D’abord subjugué par la beauté de la toile – de son mouvement ascendant, de ses couleurs délicates et de sa composition complexe –, l’invité des lieux ne prêtera pas tout de suite attention au cartel qui accompagne le chef d’œuvre. Ce n’est qu’en s’approchant du mur couleur rouge cramoisi, qui met si bien en valeur les nuances de la palette des toiles du maître de l’école flamande, qu’il remarquera une mention particulière : « Restitué par le gouvernement français, 1815 ».

Une chronique de Marie de Bruchard : la restitution d’œuvres d’art, une nécessaire montée au calvaire
La montée au Calvaire, Peter Paul Rubens et atelier, Restitué par le gouvernement français, 1815
© Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns - Art Photography

D’autres tableaux présents dans le prestigieux musée, qu’ils soient l’oeuvre de Rubens, comme l’Assomption de la Vierge, ou celle d’autres peintres, portent cette mention. Une salle, à l’étage de l’institution culturelle, est même uniquement constituée de quelques toiles restituées, après la chute définitive de Napoléon Ier, par la France de la Restauration.

En 1815, ces retours d’œuvres en direction d’anciens pays conquis pendant le Premier Empire – territoires d’Italie et d’Allemagne en tête –n’ont pas été sans polémique ni débats intellectuels, en France comme à l’Étranger. Un passionnant cours du Collège de France, diffusé en partenariat avec France Culture en février 2020, aborde le sujet. Bénédicte Savoy*, historienne de l’Art, professeur à l’université technique de Berlin et titulaire de la chaire internationale « Histoire culturelle des patrimoines artistiques en Europe, XVIIIe-XXe s. » au Collège de France, nous expose comment la notion de trophées artistiques de guerre change au début du XIXe s., après la fin des guerres napoléoniennes. Les contemporains s’interrogent : faut-il démanteler le Musée Napoléon (ancêtre du Louvre) ? Faut-il conserver ce qui est alors le plus grand musée européen, lieu de concentration de la riche diversité des productions de toute époque et de tant de pays ? Elle nous rappelle la précipitation des artistes (et des soldats russes occupant la capitale !) dans les années 1814-1815 pour visiter, dessiner, peindre, s’abreuver des collections du grand musée parisien, voulu par l’empereur des Français, avant son imminent démantèlement. Bénédicte Savoy éclaire les controverses juridiques qui, en marge de celles qui se déroulent au congrès de Vienne pour les questions territoriales et politiques, font émerger une nouvelle conscience parmi les penseurs de ce temps et aboutissent à la création d’une nouveauté : ce sont les débuts de la notion de bien culturel. Que rendre ? À qui ? Quelles ont été concrètement les tractations, œuvre par œuvre, qui ont abouti, parfois, à la sauvegarde par la France de chefs d’œuvre jugés de moindre importance par leurs pays d’origine ? Voici quelque 8h40 d’un cours éclairant qui nous montre que le débat autour des restitutions n’est donc pas nouveau et a toujours été passionné.

En 2018, Bénédicte Savoy a produit avec l’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr un rapport sur la restitution du patrimoine africain, commandé par le président de la République française. Un autre rapport, dans les années 80, arrivait aux mêmes conclusions et préconisait un retour sélectif d’œuvres d’Art et d’Histoire dans leurs pays d’origine.

Certains s’émeuvent vivement actuellement de cette politique qui entraîne le départ d’œuvres et d’objets qui font parfois le fleuron de nos musées. Ils y voient une volonté de repentance post-coloniale et invoquent l’inaliénabilité des collections publiques. Outre le fait que ces échanges ne concernent pas que la France et ses anciennes colonies (pensons au débat sur la frise du Parthénon entre la Grande-Bretagne et la Grèce), et sans nier les enjeux politiques actuels qui accompagnent ces gestes de rétrocession, il peut être intéressant de rappeler que si le principe juridique d’inaliénabilité a été formulé dans ses prémices sous l’Ancien Régime, il a évolué dès le début du XIXe s. En matière de restitutions, il n’y a pas de raison qu’il cesse de le faire. Rappelons enfin que ce principe reste, en France, un des plus restrictifs d’Europe, des dires mêmes de notre Sénat.

*C’est sous la direction de Bénédicte Savoy que Karolina Stefanski, boursière 2012 de la Fondation Napoléon, a poursuivi sa thèse sur « L’adaptation et le rejet du style Premier Empire dans l’orfèvrerie du XIXe s. en Europe centrale et de l’Est ».

 

Marie de Bruchard, web-éditrice sur napoleon.org
Novembre 2020

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