Une chronique de Marie de Bruchard : simulation vs simulacre

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
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Il est des secrets de famille jalousement gardés de génération en génération. Nombre de sites, urbains comme ruraux, sont cachés des autorités. Il n’est pas question ici de soustraire un trésor de pièces gallo-romaines mais plutôt d’agir par principe de précaution : personne ne veut voir sa cave, son jardin, son champ, son usine être occupé par un groupe d’inconnus qui vont y « faire des trous » pendant des mois en paralysant espace privé ou activité professionnelle. Et ça se comprend.

Une chronique de Marie de Bruchard : simulation vs simulacre

Pourtant un principe souvent méconnu de propriétaires réticents prévaut dans le milieu archéologique depuis les années 1980 : « Empiéter le moins possible sur la vie des contemporains ». Depuis 30 ans, l’objectif des fouilleurs est de prélever ce qui fait sens, ce qui est important, pour libérer le plus vite possible ces lieux quand garder ces vestiges in situ n’est pas essentiel… Une tâche complexe qui requiert la sensibilisation mais aussi la pédagogie de tous les intervenants extérieurs, locaux comme nationaux.
Un exemple récent en est une fouille sur chantier de construction qui a eu lieu début 2017 à Orthez, en Nouvelle-Aquitaine. Les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) y ont découvert un charnier de 1814 contenant les dépouilles, enterrées à la hâte, d’une vingtaine de soldats d’époque napoléonienne. Les fouilles ont visé à prélever scrupuleusement les corps le plus rapidement possible, en vue de laisser place à la construction d’une crèche.
Nul cimetière recréé pour les malheureuses victimes de la terrible bataille du 27 février 1814 entre l’armée du maréchal Soult et les troupes britanno-portugaises du duc de Wellington : place aux bambins du XXIe s. Ces soldats n’ont pas pour autant été oubliés et ont fait l’objet d’une exposition gratuite dès septembre, la même année.

Aujourd’hui, la politique des fouilles va même plus loin : délibérément, des sites connus et imposants sont laissés couverts en vue de la création d’une « réserve archéologique », où les emplacements repérés seront préservés à la fois de la destruction inexorablement induite par les excavations, des pillages (dans certains pays vulnérables en particulier) mais aussi en vue du futur perfectionnement des techniques de fouilles.
Il y a également une raison financière évidente derrière cette nouvelle approche. Car entretenir les témoignages monumentaux ou étendus de notre passé est une gageure qui demande beaucoup de subsides. Une priorité toujours remise en cause, notamment par la spéculation foncière, y compris au sein même de la capitale française, qui se prétend pourtant à la pointe de la conservation du patrimoine et abrite le siège de l’UNESCO. En témoignent les conflits larvés qui ont agité – et agitent encore souvent – les relations entre la maire actuelle de la ville et la Commission du Vieux Paris.

Faire vivre le passé sans empiéter sur le présent ; empêcher le présent de détruire le passé… Telles sont donc les deux mouvements en grande tension qui animent les acteurs culturels impliqués en ce début de millénaire.

Cette remise en perspective des véritables enjeux patrimoniaux en cours ne peut amener qu’à une conclusion : recréer à l’identique des sites ou des monuments entièrement disparus est une chimère. Et il peut confiner à l’absurde si son raisonnement est poussé dans ses retranchements. Faut-il raser la préfecture de police de Paris pour retrouver la première implantation de Lutèce ? Faut-il détruire le Louvre Renaissance pour reconstruire le château de Philippe Auguste ? Faut-il remplacer un H. par un H.  : éradiquer l’oeuvre d’Haussmann pour refaire naître un Paris médiéval fantasmé d’Hugo ? Un passé qu’on ne retrouvera jamais à l’identique, un miroir aux alouettes, car les techniques de construction des temps révolus nous échappent encore souvent ; un simulacre, donc, dans le vrai sens du terme.

A émergé depuis une vingtaine d’années une nouvelle discipline qui concilie une bonne partie de ces enjeux et passions : la reconstitution en réalité virtuelle 3D. Ce savoir-faire – scientifique, car fondé à partir de données relevées et non romanesques – permet de retrouver une époque lointaine à l’aide des dernières technologies.

 

La reconstitution 3D permet également de vérifier des hypothèses et d’explorer des monuments sans les endommager. Le projet Scan Pyramids, qui explore la pyramide de Khéops dans ses recoins insoupçonnés, est ainsi en train de nous révéler de nouveaux pans de la construction du monument égyptien. Sans doute cette technologie et ses révélations auraient-elles fasciné un certain général Bonaparte…

 

Enfin, la réalité virtuelle fait office de mémoire collective en faisant revivre un patrimoine détruit bien plus récemment, autrement que par l’usure du temps, victime de guerres encore en cours. Au-delà de l’aspect documentaire à destination des spécialistes, ces recréations veulent toucher un large public. Avec l’exposition « Sites éternels », le Grand-Palais nous a dévoilé en 2016 les trésors de quatre sites en danger, de Bamiyan (Afghanistan) à Palmyre (Syrie). L’exposition « Cités millénaires » de l’Institut du Monde arabe a été montée dans la même optique en 2019, pour montrer  l’évolution dans le temps de quatre cités antiques martyrisées par les conflits récents, dont on ne retrouvera jamais l’entièreté : Palmyre, Alep (Syrie), Mossoul (Irak) et Leptis Magna (Libye). 


 

Aujourd’hui, ces simulations sont au plus proche de la réalité, par la méthode et l’ambition rationnelle.

L’exposition Derniers feux de Saint-Cloud au musée des Avelines permet d’appréhender jusqu’au 23 février 2020 la vérité d’un palais aujourd’hui malheureusement disparu. Parmi le mobilier rescapé, sa remise en contexte et le charmant cadre intime du musée, on trouvera une pépite : la reconstitution 3D du palais, pièce par pièce (voir le « making-of » ci-dessous du travail de l’historien Philippe Le Pareux). Un vrai trésor numérique, certes virtuel, mais virtuose, et qui ne fait pas semblant.

 

Marie de Bruchard, février 2020

Marie de Bruchard est web-éditrice à la Fondation Napoléon

 

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