Une chronique de Michel Dancoisne-Martineau : Une mystérieuse clé de Longwood aux enchères

Auteur(s) : DANCOISNE-MARTINEAU Michel
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Lundi 11 janvier 2021 a débuté dans la prestigieuse maison de ventes Sotheby’s la mise aux enchères d’une supposée clé de la pièce aménagée à Longwood House pour Napoléon Ier, mourant. L’objet a finalement été adjugé pour la somme de 92 000 euros. La presse française s’est fait l’écho immédiatement d’une telle nouvelle, particulièrement intéressante pour le public en cette année 2021, bicentenaire de la mort de l’Empereur. Cette clé est accompagnée d’une note portant la mention suivante : « Clé de la chambre à Longwood dans laquelle Napoléon est mort et que j’ai ôtée de sa serrure moi-même. C. R. Fox, Sainte-Hélène, 6 septembre 1822 » (Key of the Room at Longwood, in which Napoleon died and which I took out of the lock myself / C. R. Fox, St Helena, 6th Sept. 1822).

Une chronique de Michel Dancoisne-Martineau : Une mystérieuse clé de Longwood aux enchères

Qui est ce C. R. Fox ? Charles Richard Fox, fils chéri de Lady Holland, très grande admiratrice de Napoléon. Si rien n’indique dans les archives de Jamestown la présence de ce visiteur à cette période à Sainte-Hélène, il est tout à fait possible (voire probable) que Charles Richard Fox passa à Sainte-Hélène en septembre 1822. Fox était capitaine dans le Cape Corps, au Cap (Afrique du Sud) à partir de 1820. Vraisemblablement, il passa peu de temps en Afrique. De nouveau (ou toujours) à Londres en septembre 1821, il partit de la capitale le 7 du mois et mit voile de Plymouth le 21 pour le Cap, faisant partie de l’entourage du gouverneur Lord Charles Somerset à Cape Town. Il resta au Cap un an. Quand son père lui acheta un capitanat dans le 15e régiment à pied au début de 1822, il rentra en Angleterre sur le vaisseau baleinier John Palmer (arrivant à Londres en octobre-novembre 1822). Ainsi il aurait pu logiquement passer à Sainte-Hélène en septembre 1822. Mais là ne réside pas le nœud du mystère.

Dès la mort de Napoléon, les clés de Longwood étaient devenues des objets de convoitise, à commencer par celles que les compagnons d’exil eux-mêmes prirent chacun… sans compter le reliquat de clés que de nombreux Britanniques présents sur place emportèrent également. Or les appartements où vécut le grand exilé ne possédaient que douze portes avec serrures, si bien qu’il aurait été peu vraisemblable qu’en 1822 il y ait encore une clé authentique en place ; bien sûr, entretemps, les fermiers auraient sans doute changé serrures et clés emportées telles des reliques. Comment aurait-il pu rester dans les trous des serrures des clés utilisées à Longwood durant les années d’exil ?

On peut essayer de tracer le parcours de certaines d’entre elles. Celle que Noverraz a prise est aujourd’hui à Lausanne (cf. photographie ci-dessous).

Moulage de la clé du portail d'entrée de Longwood House © Michel Dancoisne-Martineau
Moulage de la clé du portail d’entrée de Longwood House © Michel Dancoisne-Martineau

Celle d’Antommarchi a abouti en Grande-Bretagne où elle fut exposée à Castle Howard puis, en 1980,  offerte par le Baron Howard of Henderskelf à l’Association britannique de la Garde Impériale (une société de reconstitueurs – Robert Ashley Cooper, B.A.(Hons.), M. Phil) qui, à son tour et afin qu’elle retourne dans la demeure de l’Empereur, décida de la restituer gracieusement aux Domaines nationaux français à Sainte-Hélène, reconnaissants envers cette association pour ce geste. Cette clé (cf. photo ci-dessous) sera d’ailleurs exposée à Waterloo au printemps 2021, dans le cadre des manifestations du bicentenaire de la mort de Napoléon.

Clé d'Antommarchi, médecin de Napoléon I<sup>er</sup>, offerte par Baron Howard of Henderskelf aux Domaines nationaux français de Sainte-Hélène © Michel Dancoisne-Martineau
Clé d’Antommarchi, médecin de Napoléon Ier, offerte par Baron Howard of Henderskelf aux Domaines nationaux français de Sainte-Hélène © Michel Dancoisne-Martineau

Plus faciles à retracer sont les serrures car plus difficilement détachables. De fait, elles se sont quasiment toutes retrouvées dans les reliques conservées par la famille Solomon et celle de George Moss, familles qui ont loué Longwood House entre 1822 et 1856 (cf. ci-dessous celle de la porte d’entrée de Longwood House, actuellement dans les collections des Domaines nationaux)…

Serrure du portail de Longwood House © Michel Dancoisne-Martineau
Serrure du portail de Longwood House © Michel Dancoisne-Martineau

Huit des clés conservées par la famille Moss sont aujourd’hui à Longwood… mais, même avec cette traçabilité établie, rien ne permet d’affirmer sans équivoque que ces clés de serrure n’ont pas été posées à Longwood après la mort de Napoléon. Que penser dès lors de celle qui est mise en vente aujourd’hui par Sotheby’s ?
Plus compliqué encore : si cette clé a bien été subtilisée à Longwood House en 1822, comment expliquer qu’elle ait une forme d’arc qui suggèrerait plutôt un objet conçu vingt à trente ans avant 1815 et l’arrivée de Napoléon à Sainte-Hélène. Là encore rien n’interdit de penser que, pour faire des économies, les fermiers ayant succédé à Napoléon dans les lieux les aient remplacées par des systèmes de fermeture obsolètes. En résumé, tout scénario est permis.

À la mort de Napoléon, Longwood House devint une ferme où les voyageurs qui firent escale se rendaient comme on va en pèlerinage. Tous souhaitaient rapporter un souvenir : les papiers peints sur les murs furent arrachés, les volets et autres boiseries découpés, les plâtres fragmentés, les serrures et clés emportées, les plantes déracinées, comme autant de précieux témoignages d’un moment historique venant d’être écrit. Un pan du caveau, qui avait été défoncé en 1840 lors de l’excavation de la dépouille de Napoléon en vue du retour des Cendres, fut même régulièrement replâtré par le propriétaire du terrain la nuit tombée pour pourvoir être vendu en fragments « authentiques » !

En matière de reliques de Sainte-Hélène, la prudence est ainsi toujours de mise.

Michel Dancoisne-Martineau
Janvier 2021
Michel Dancoisne-Martineau est consul honoraire de France à Sainte-Hélène et conservateur des Domaines nationaux français de Sainte-Hélène.

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