Une chronique de Patrice Gueniffey : Un clou de plus dans le cercueil de la Révolution

Auteur(s) : GUENIFFEY Patrice
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Il y a quelques années, dans une préface au « Napoléon » de Jacques Bainville, j’observais que les livres d’histoire vieillissent souvent vite, et parfois mal. Le temps qui passe n’est pas toujours indulgent. Beaucoup disparaissent, quelques-uns deviennent à leur tour des documents historiques témoignant de préoccupations ou parlant un langage qui ne sont plus ceux des générations nouvelles. Bainville en était conscient, qui disait que chaque génération aime qu’on lui raconte l’histoire avec des mots à elle.

Une chronique de Patrice Gueniffey : Un clou de plus dans le cercueil de la Révolution
Patrice Gueniffey © Bruno Klein

La Nouvelle histoire de la Révolution que publie Annie Jourdan (Flammarion, 2018) s’inscrit dans un autre registre : celui des livres qui, l’encre pas encore sèche, sont déjà des objets d’histoire. Elle raconte en effet l’histoire de la Révolution avec les mots et les idées d’hier.

L’entreprise est louable, certes, puisqu’il s’agit de rien moins que de ressusciter une mythologie morte. La révolution n’est plus une espérance. Nulle part. L’échec de toutes les expériences révolutionnaires, sans exception, et pour finir l’écroulement sans gloire du communisme ont tué cette idée qui aura pourtant rempli deux siècles de notre histoire. 

Les acteurs de la Révolution, qui avaient suscité tant de passions contraires, s’effacent, comme les vieilles photos. Exit Mirabeau, Barnave, Brissot, Danton, Desmoulins et les autres. Seuls Robespierre et Marat ont échappé à cette mécanique de l’oubli. Le premier parce qu’il est identifié à tout jamais, à tort ou à raison, avec la Terreur, le second parce qu’il a donné un style à une vieille passion française, celle de l’envie et du ressentiment. Pour le reste, Charlotte Corday a gagné. Et Marie-Antoinette. Et les Vendéens. Même le souvenir de 1789 n’est plus ce qu’il était. L’histoire n’est pas toujours juste. C’est ainsi.

Annie Jourdan, qu’on a connue mieux inspirée au temps où elle écrivait sur les « Monuments de la gloire » ou la révolution batave, s’en indigne. Dans sa volonté de sauver ce qui reste de l’héritage de la Révolution, et sans doute parce que bientôt rien ne restera plus du grand événement célébré il n’y pas si longtemps encore comme un recommencement de l’histoire et le point de départ d’un processus démocratique qui attend encore son accomplissement, elle n’y va pas de main morte. 

Par le ton, son histoire date de soixante-dix ans au moins, au temps où la Révolution avait le charme des choses simples : les bons d’un côté, contraints par leurs ennemis de faire de vilaines choses, les méchants de l’autre, qui n’ont pas volé ce qui leur est arrivé. Le peuple d’un côté, les « aristocrates » de l’autre. La lutte des classes débouchant sur la guerre civile. La thèse a eu ses interprètes illustres depuis Louis Blanc, à commencer par Georges Lefebvre. Mais n’est pas Georges Lefebvre qui veut, ni même Albert Soboul. Annie Jourdan s’intéresse au « peuple ». Elle prend une figure rhétorique pour une réalité sociologique. Ni Lefebvre ni Soboul n’eussent eu cette ingénuité. Mais Annie Jourdan n’a cure des nuances. Le « peuple » existe, non parce qu’il pense ou veut, mais parce qu’il sent et ressent. Pour elle, le grand moteur de l’action, ce sont les émotions. Elle a lu Sophie Wahnich. On souffre beaucoup dans ce livre, on est en colère, on serre les poings, on pleure, on espère, on tient bon, et puis finalement le couvercle de la marmite saute. Il faut bien que ça sorte un jour, que ce soit à coups de gourdins ou de piques. 

Jamais on ne saura ce que veut le peuple souffrant, à part ne plus souffrir. On est chez Mélenchon. Même grossièreté de l’expression, même indigence de la pensée. Ce n’est pas rendre hommage à la Révolution, à sa grandeur, à l’inépuisable richesse de ses débats.

Cette « Nouvelle histoire » — déjà vieille — ne mérite pas qu’on s’y attarde. Du ridicule, du grotesque et de l’insignifiant, on bascule parfois dans l’odieux, comme lorsque Annie Jourdan compare l’assassinat de Marat par Charlotte Corday à celui de l’équipe de Charlie-Hebdo par les frères Kouachi.

Ce n’est en tout cas pas ce livre qui redonnera vie au souvenir de la Révolution française. C’est un vieux bouquet, même pas de fleurs fanées. Cette histoire sans intérêt a autant de charme que les fleurs en plastique qu’on voit parfois sur les tombes. En l’occurrence, celle où gît le cadavre de la Révolution française.

Historien, Patrice Gueniffey est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

9 février 2018

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