Une chronique de Peter Hicks : « Au commencement était la Romance… »

Auteur(s) : HICKS Peter
Partager

Dans son Dictionnaire de musique (1768), Jean-Jacques Rousseau consacre une entrée spéciale à la Romance, forme populaire de chanson avant tout « sentimentale ». Jetant ainsi les bases de « l’empire des sens » qui régnera à l’époque romantique, cette pièce ingénue, sincère, mais surtout simple, que ce soit pour la voix ou l’instrument qui l’accompagne, sera le « cœur battant » de la musique du XIXe siècle.

Une chronique de Peter Hicks : « Au commencement était la Romance… »
© Fondation Napoléon / Rebecca Young

Inspirée par les Lumières, la Révolution met la musique à la portée de ceux qui n’en avaient pas forcément les moyens ou les prétentions auparavant, donnant naissance à la musicoragicomanie, terme inventé pour définir la passion pour la musique qui déferle sur la dernière décennie du XVIIIe siècle. Tout naturellement, ce nouveau marché avide de chansons fit naître des producteurs d’instruments et des professeurs. Comme aujourd’hui, les chanteurs ont toujours besoin d’un instrument d’accompagnement pour marquer l’harmonie et soutenir la voix. Le plus souvent, le chanteur et l’accompagnateur ne faisaient qu’un. Pour cette harmonie, la guitare en est l’un des exemples les plus séduisant.

Dans son Dictionnaire de musique (1821), François Henri Castil-Blaize disait pourtant qu’avant le milieu du XVIIIe siècle en France, la pratique de cet instrument était devenue moribonde, et que « quelques musiciens, trop sévères sans doute, sembl[aient] fatigués de ce qu’elle obstine à leur survivre ». Cependant, tout comme le nouveau « forte-piano » qui, comme son nom l’indique, pouvait jouer « fort ET doux » (en d’autres termes, il pouvait être romantiquement expressif, contrairement à l’austère clavecin), également en vogue, la guitare est soudainement passée du statut d’instrument oublié à celui d’instrument absolument nécessaire sous la Révolution.

Pour accompagner les chanteurs, la harpe était idéale aussi sur le plan musical mais elle était particulièrement coûteuse, tout comme le pianoforte, et techniquement plus complexe. La guitare, relativement bon marché (en comparaison) et bien sûr beaucoup plus facile à transporter, est devenue ainsi très naturellement l’instrument d’accompagnement de prédilection. Castil-Blaize (à nouveau) a noté comment « ses sons voiles et d’un diapason grave, donnent des masses d’harmonie très-favorables à la voix, qu’ils soutiennent sans la couvrir ». Rousseau (de même) avait noté qu’elle était particulièrement utile pour chanter dans la rue ! C’est ainsi qu’est née la « guitaromanie ». Accompagnant cette renaissance, il y eut bien sûr des méthodes de guitare, toutes publiées à Paris, notamment par Giacomo Merchi (1761), Pierre-Jean Baillon (1781), Francesco Alberti (1786), Trille Labarre, (1793 et 1794). Bien que, comme Berlioz le notera plus tard, la guitare soit préférable comme instrument d’accompagnement, l’instrument acquiert un charme lorsqu’il est joué par un véritable virtuose, tel que Niccolò Paganini et plus tard Fernando Sor.

En France, par contre, François Pierre Antoine Gatayes (1774-1846) était probablement beaucoup mieux connu du mélomane moyen à l’époque. Guitariste parisien obsessionnel depuis sa jeunesse, ce musicien d’origine noble est célèbre aujourd’hui pour avoir charmé Marat (son voisin de palier) et pour avoir (presque) assisté à son assassinat aux mains de Charlotte Corday… La romance de Gatayes « Mon délire » (sic !) aurait été chantée dans toute la France. Sa méthode de guitare (comme d’ailleurs sa méthode de harpe) a été largement diffusée. Et son influence s’étendit bien au-delà du 19ème siècle. Surfant clairement sur la vague de cette renaissance de la guitare, des compositeurs tels Ferdinando Carulli (1770-1841) commencèrent à composer pour l’instrument en tant que soliste, et non plus comme un simple instrument d’accompagnement. Arrivé à Paris en 1808, Carulli stupéfie les auditeurs par sa technique (selon le musicologue Fétis) qui contraste fortement avec celle des musiciens parisiens de son époque. Désormais en 1810, la critique de musique dans la Gazette de France nous livre que « la guitare jouissait […] d’une assez mince considération, […] destinée à servir d’accompagnement, » mais que « M. Carulli prouve jusqu’à quel point le talent peut se rendre maître de l’instrument le plus ingrat ». Et nous aussi d’ailleurs !

Le week-end du 17 au 20 mai, à l’Orangerie de Bois-Préau (près de Paris), les amateurs de concerts pourront se faire une idée de ce véritable son de l’époque avec un concert de guitare, voix et pianos (sic !) des compositeurs Carulli, Giuliani et Hummel, en parfaite harmonie avec nos propres conférences musicales, organisées par la Fondation (qui en seront bientôt à leur troisième édition). A la Fondation Napoléon, nous sommes très attachés à ce que le public d’aujourd’hui puisse réentendre le véritable son, les « playlists » de l’époque en somme, qu’entendait les contemporains du Premier Empire. C’est pourquoi nous avons décidé de soutenir la belle initiative du château de Malmaison et de la Nouvelle Athènes en ce week-end de Pentecôte.

Peter Hicks, responsable des affaires internationales de la Fondation Napoléon (mai 2024)

En savoir plus sur la deuxième édition du festival de Pentecôte à l’Orangerie de Bois-Préau : « La reine Hortense, compositrice et mécène »

Partager