Une chronique de Peter Hicks : garder un œil sur Boney

Auteur(s) : HICKS Peter
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Un document intéressant conservé dans les « Lowe Papers » de la British Library de Londres met en lumière les méthodes de surveillance plus étendues utilisées à Sainte-Hélène au moment de la captivité de Napoléon. Dans le manuscrit Mss. Add. 20 204, deux documents d’époque (fol 72 ff et 92 ff) racontent l’histoire du pauvre fermier John Robinson et de ses vantardises vis-à-vis de l’Empereur.

Une chronique de Peter Hicks : garder un œil sur <i>Boney</i>

Dans le premier, daté de juillet et août 1816, un informateur fait des révélations sur John Robinson, l’un des voisins de Napoléon près de Longwood, qualifié par Gourgaud de « simple paysan ». M. Robinson est connu par la postérité comme le père de « la nymphe », la séduisante (mais de manière spirituelle) Mary Ann Robinson, citée fréquemment dans les mémoires de Gourgaud et au bref rôle de figuration dans le Mémorial ainsi que dans les lettres de Warden. Napoléon semblerait l’avoir également trouvée belle. Le nom de l’informateur ? « J », logeant à Stock House, chez Miss Mason. Les notes de l’informateur sont parvenues au gouverneur.

« J » a invité John à son domicile, ce dernier arrivant à l’heure matinale de midi ! Ils ont décidé de se promener jusqu’à la côte. À leur retour chez Miss Mason, l’informateur a soutiré à Robinson des informations sur Bonaparte en le faisant boire. À ce moment-là, de manière significative « du fond de son verre », John a révélé quelques bricoles intéressantes : que l’Empereur venait chez John « presque tous les jours » (pour citer John lui-même) et qu’il parlait bien anglais (John devait être très ivre…). Toujours d’après Robinson, Napoléon aurait également sauvé une de ses vaches qui était tombée dans un fossé. John expose également sa théorie à l’informateur selon laquelle il serait difficile pour le gouverneur de mobiliser les troupes sur l’île et que Napoléon pourrait être exfiltré avant l’aube via une vallée peu fréquentée. « J » a essayé de le convaincre du contraire, en vain.

Plus tard dans la journée, John lève son verre à « Bonaparte » en lui souhaitant « qu’il vive cinq ans », ce à quoi « J » opine puisque, en raison de la présence de l’empereur déchu sur l’île, il est lui-même payé  pleine solde et non pas demi-solde. John boit un peu plus et commence à affirmer qu’il pourrait aider Napoléon à s’échapper et, ce faisant, ferait fortune (il mentionne un grand chandelier en or massif qui serait apparemment sa récompense), demandant surtout à « J » s’il « en serait »? À ce moment-là, « J » lui répond qu’il est déloyal et le fait sortir de chez lui, maintenant «excessivement ivre», au point de rétorquer : « Je suis l’homme qui va l’emmener hors de l’île ! ».

Le rapport suivant de « J » sur les propos de John Robinson concerne l’argent que Napoléon distribue aux classes défavorisées. Napoléon en exil semble avoir pris l’habitude de donner des pourboires aux domestiques. Un an plus tôt, le jour même de son arrivée à bord du Northumberland et après avoir quitté le Bellérophon, il aurait laissé trois Napoléons sous le chandelier pour les serviteurs, après une partie infructueuse de Vingt-et-un (au cours de laquelle il avait perdu 5 Napoléons). À Sainte-Hélène, il aurait continué cette pratique mais, cette fois, avec les esclaves aussi. Selon John, Napoléon a donné non seulement un Napoléon au fils de Robinson mais 1 dollar (équivalent à 4 ½ shillings) à « l’esclave Betty pour lui avoir apporté un verre d’eau »; 1 dollar à « l’esclave Will pour avoir abattu un mur pour que son cheval passe »; 1 dollar à « l’esclave Dick pour avoir ouvert une barrière »; et 1 dollar à « Susannah pour avoir enlevé un petit morceau [de] furze de la route ». Il aurait également donné : 1 Napoléon au fils de John Legg ; 1 dollar à « l’esclave de John Legg, March, pour avoir ouvert une barrière » ; 3 Napoléons à « l’esclave de Mlle Mason, Plassey, pour avoir creusé un petit chemin près de la maison de stockage de Mlle Mason » et 3 Napoléons à « William, l’esclave de Miss Mason, pour avoir trouvé sa lunette d’or ».

Plus tard, en 1817, John continue ses indiscrétions, racontant comment Piontkowski lui avait apporté un message de Napoléon lui promettant, lorsque sa fille serait mariée (à Impett du 53e), de lui faire cadeau de cinq cents livres. John précise également qu’après son mariage – finalement avec le capitaine Edwards -, « M. et Mme Edwards ont passé environ deux heures avec Bonaparte et tous ses préposés (sauf la comtesse de Montholon). Il [Bonaparte] semble sur le moment très déprimé et abattu que Mme E. quitte l’île ; il dépose sur ses genoux une montagne de dragées, remplit un verre de vin et insiste pour le lui porter lui-même. Au moment des adieux, lorsque les jeunes mariés quittent la maison, Napoléon se serait tenu de manière sobre jusqu’à ce que le jeune couple soit engagé sur un chemin, qu’il le suive, le dépasse et embrasse le capitaine E. en lui disant qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, tant il lui rappelait son propre frère. » De manière assez remarquable, ces détails correspondent plutôt étroitement à ceux relevés par Gourgaud dans ses mémoires en date du 26 juillet 1817 ; Gourgaud précise cependant que c’est une ressemblance étroite avec Eugène, et non avec Joseph, qui frappa l’Empereur chez Edwards.
Ce deuxième rapport est jugé si important que le gouverneur Lowe en informe Lord Bathurst dans une lettre datée du 31 octobre 1817.

Mais l’impression la plus flagrante qui ressortira de ces deux « comptes rendus » est sans doute que, parfois, Hudson Lowe était vraiment submergé d’informations !

Peter Hicks
Avril 2021

Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon.

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