Le Bombay avait transporté deux passagers écossais : le major Ludovick Stewart du 24e régiment d’infanterie et son épouse Margaret (née Fraser). Las Cases nous raconte que dans son Mémorial, que le 10 novembre 1815, aux Briars, Napoléon rencontra et s’entretint avec la belle Madame Stewart, âgée de vingt ans, en compagnie de Mme Balcombe. Le major aurait pu également rencontrer l’Empereur, bien que ce ne soit pas certain. Le numéro du 21 décembre 1815 du Courrier notait quant à lui que Napoléon avait pris « plusieurs officiers du Bombay par la main et conversé avec eux pendant une longue période », information qu’une lettre anonyme d’un fils à son père à Édimbourg, datée par le Times du 17 janvier 1816 et publiée sans titre dans le London Star du 16 janvier, confirmait. L’Edinburgh Advertiser du 2 janvier 1816 rapportait tout le contraire : « les officiers du Bombay éprouvèrent une grande déception de ne pas avoir eu l’occasion de voir [Napoléon] »… Peut-être que certains membres de l’équipage l’ont-ils rencontré mais pas les autres ? Ce qui est sûr, c’est que le capitaine Hamilton du Bombay rencontra bien l’Empereur déchu, le 11 novembre, la veille de son départ, car il écrivit une lettre privée (inédite), dans laquelle il qualifiait la fille des hôtes de Napoléon (Betsy Balcombe, donc) de « pert young hoyden » (jeune garçon manqué effronté) et de « romp » (bruyante). Stewart, lui, dut certainement monter aux Briars pendant son séjour dans l’île car, artiste relativement doué, il fit publier le 16 janvier 1816 chez R. Smith and Sons à Londres une gravure de « la résidence actuelle of Buonaparte […] » ; l’apparence très précise du pavillon avec sa tente dressée à l’extérieur ne laissant pas de doute.

Pour zoomer sur l’image
Mais ce qui est le plus intéressant concernant ces lettres apportées par le Bombay et l’Ariel tient peut-être à ce qu’elles nous disaient du début de la légende de Betsy Balcombe. L’Edinburgh Advertiser nota que « l’Empereur ci-devant passe la plupart de son temps à divers divertissements avec les filles de son hôte, qui sont considérées comme de jeunes femmes intéressantes. Le soir […] les convives jouent aux cartes pour des prunes à sucre ». Quant aux lettres anonymes datées des 20 et 24 novembre 1815 apportées au HMS Ariel (publiées dans le London Star les 18 et 16 janvier 1816), William Warden est sans ambigüité leur émetteur : elles rapportent des questions médicales et ont été écrites depuis le Northumberland où Warden était chirurgien. Fait remarquable, ces récits n’ont finalement pas été inclus dans le livre de Warden, publié pour la première fois en novembre 1816.
Dans la lettre du 20 novembre, Warden faisait remarquer que les filles de Balcombe, Jane et Lucia Elizabeth dite « Betsy », étaient « extrêmement bien éduquées et avaient moins de dix-sept ans » (en fait 15 et 13, respectivement) ; « Toutes deux parlent français et je suis sûr qu’elles lui [NdA : à Napoléon] procurent une très grande consolation ». « Fréquemment, le soir, il [NdA : Napoléon] rejoint la famille de Balcombe, et avec les filles […], se joint à une partie de whist, où, quand il tente de se dédire ou de tricher, et qu’il est découvert (par la plus jeune et malicieuse des deux filles [Betsy]), il rit sans modération ». La lettre anonyme du fils à son père publiée pour la première fois dans le London Star le 16 janvier (mentionnée ci-dessus) – puisqu’elle est parvenue grâce au Bombay, elle doit forcément raconter des événements qui se déroulèrent avant le 12 novembre – décrivait les filles comme suit : « M. B. a deux filles intelligentes qui parlent couramment la langue française et auxquelles il [Napoléon] est très attaché – il les surnomme « ses petits pages ». Il y a un certain nombre de petites histoires sur les libertés innocentes qu’elles se permettent avec lui, et à quel point il en est ravi ».
Comme si cela ne suffisait pas, le début de la légende de Betsy Balcombe fut cimenté par la publication à Londres de la , annoncé pour la première fois dans le Morning Chronicle le 1er mars 1816. La pièce est dédiée à « Miss Balcombes » et a pour frontispice la vue des Briars de Ludovick Stewart revisitée : les minuscules figures de Jane et Betsy ont en effet été rajoutées dans le jardin, dansant devant l’Empereur. Une vraie image d’Épinal… en provenance directe de Sainte-Hélène.

Écouter la valse de Sainte-Hélène (enregistrement au piano par Peter Hicks)
En lire la partition (© Museum of Music History)
Merci au Museum of Music History
Peter Hicks
Octobre 2020
Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon.