Comme l’a bien montré Charles-Eloi Vial dans un article de Napoleonica la Revue et que nous traduisons aujourd’hui dans le dernier numéro de notre revue scientifique en langue anglaise, Napoleonica the Journal, ces deux abdications, conditionnelle et définitive, ont d’abord été rendues publiques au début de l’année 1823 dans un remarquable volume (anonyme) publié à Londres, le Mémorial de 1814, une œuvre probable du baron Fain, secrétaire de Napoléon. L’ouvrage, en français et en anglais, contenait également un fac-similé lithographique à la pointe de la technologie de l’abdication définitive.
L’introduction du livre explique que cette histoire des événements ayant conduit au funeste mois d’avril 1814 fut à la fois écrite sur ordre de Napoléon mais aussi, et surtout, découverte dans l’un des carrosses de l’empereur, récupéré après Waterloo, ce qui indique que le texte avait été achevé avant le 18 juin 1815. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène publié en 1823, Las Cases souligne combien Napoléon apparaît tout au long de ce récit « constamment surnaturel dans les ressources de son génie ». Un « génie » d’autant mieux mis en évidence qu’il le fut par l’un des probables auteurs du texte, Napoléon en personne.
Le Mémorial de 1814 écrit par Fain, et dirigé par l’Empereur pendant les Cent-Jours pour mieux imposer sa propre version des évènements, contenait une version de l’abdication conditionnelle qui ne fut jamais envoyée aux Alliés mais que Napoléon estima sans doute plus digne de lui. Ayant probablement détruit la version authentique du document, l’Empereur fut d’autant plus tenté de réécrire l’histoire à son avantage. On sait à quel point il n’avait pas été satisfait de son abdication conditionnelle de 1814. Dans le manuscrit du Mémorial de Sainte-Hélène, Las Cases nota par exemple ce qu’il en disait à la date du 19 août 1816 : « Je le renie. Je suis loin de m’en vanter, j’en rougis plutôt. On l’a discuté pour moi ». Partant, il n’eut qu’une envie, l’effacer pour la postérité.
Cette substitution fonctionna à merveille puisque l’on retrouve sa version de l’abdication dans les Archives impériales comme dans l’édition de la Correspondance de Napoléon sous le Second Empire. Ainsi gravée dans le marbre, cette fausse source fut ensuite abondamment utilisée par les historiens jusqu’à devenir la seule et unique que l’on connaisse. Malheureusement pour Napoléon, le fidèle Caulaincourt qui négocia pour lui en 1814 son abdication avec les Alliés conserva dans ses papiers un double de la version authentique de l’abdication conditionnelle que Jean Hanoteau publia en 1933, ce qui nous permet donc de comparer et de comprendre le subterfuge employé par Napoléon. Malgré cette révélation, il n’est pas rare de voir encore le faux texte reparaître ici ou là.
Pour saisir toutes les subtilités de ce petit arrangement de Napoléon avec l’histoire, nous vous invitons à lire l’étude de Charles-Eloi Vial, en français et désormais en anglais, une traduction d’autant plus nécessaire que la mystification napoléonienne avait également touché quelques historiens outre-manche, le Manuscrit de 1814 ayant été publié en anglais dès l’origine.
Peter Hicks, responsable des affaires internationales de la Fondation Napoléon (octobre 2024)