Une chronique de Peter Hicks : « Une espérance éternelle fleurit… »*

Auteur(s) : HICKS Peter
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Au printemps 1819, le 20e régiment à pied arriva sur l’île de Sainte-Hélène où il fut cantonné à Jamestown, Francis Plain, Lemon Valley, à High Knoll et Ladder Hill. Ces hommes devaient remplacer le 66e au mois de février suivant et ils auraient l’honneur d’accompagner l’Empereur jusqu’à sa dernière demeure. De manière assez surprenante pour un regard contemporain, un noyau de soldats de ce régiment étaient des « chrétiens sérieux et zélés », parmi lesquels notamment Robert Carter Oakley et George Horsley Wood.

Une chronique de Peter Hicks : « Une espérance éternelle fleurit… »*
© Fondation Napoléon/ R. Young

En 1820, le navire de la Royal Navy Vigo arriva pour son tour pour garder l’île avec un jeune aspirant invalide à bord, d’à peine 21 ans, un certain Robert Grant (1799-1820), soigné par son dévoué collègue aspirant, R. J. Mellish. Grant était issu d’une famille nombreuse écossaise des Lowlands, qui – semble-t-il – fréquentait la noble famille Hope à Granton House, au centre-ville d’Édimbourg. Il allait probablement à l’école avec son camarade en génération, le contre-amiral Charles Hope. Après une jeunesse agitée, Robert entra dans la marine et s’est retrouvé à bord de Vigo en direction de Sainte-Hélène.

Attrapant la tuberculose (et la religion) peu de temps après le départ du Vigo de Grande-Bretagne, Grant demanda à son ami Mellish de lui lire les Saintes Écritures alors qu’il souffrait dans la cabine du lieutenant de drapeau. À son arrivée à Sainte-Hélène, le jeune Écossais fut d’abord admis à l’hôpital insalubre de High Knoll. Plus tard, après les demandes de son ami et «  frère en Christ », George Horsley Wood, du 20e régiment, il fut finalement envoyé au Mason’s Cottage (Teutonic Hall), un piquet éloigné du camp de Deadwood, situé à « un coup de feu » de Longwood House, marquant l’une des limites du lieu de vie de Napoléon. Wood, Armstrong (un lieutenant local de Saint-Hélène dans l’artillerie) et Mellish (qui venait aussi souvent qu’il le pouvait) assistèrent tous à Grant et accompagnèrent ses derniers jours, témoignant notamment du miracle de sa survie jusqu’à l’anniversaire de ses 21 ans et sa majorité qui lui permirent de léguer 10 000 £ à sa mère au lieu de son jeune frère.
Tous les détails concernant l’invalidité et la mort de Grant sur l’île (y compris, mot pour mot, toutes les prières offertes par le mourant) furent par la suite transmises (principalement par Wood, mais aussi par d’autres) au révérend (?) Thomas Robson (qu’on retrouvera en Inde à Ahmednagar en 1825) qui les publia en deux éditions, une en Inde et la seconde à Londres en 1827, sous le titre St Helena Memoirs. Il s’agit là d’un compte rendu du remarquable renouveau religieux qui s’opéra à Sainte-Hélène pendant les dernières années de l’exil de Napoléon.
En quoi tout cela est-il intéressant ? Eh bien, selon Robson, quand ils priaient ensemble (Grant, Wood, Armstrong, Oakley et Mellish) se mirent en tête qu’ils devraient prier non seulement « pour que Dieu atténue les graves souffrances corporelles [de l’Empereur] pendant sa longue maladie » mais aussi pour sa conversion au protestantisme !
George Horsley Wood (vraisemblablement la source des informations de Thomas Robson) lui-même raconta qu’il avait reçu de David Bogue une traduction française du célèbre tract religieux de ce dernier sur le Nouveau Testament (écrit en 1801 et traduit par la suite dans plusieurs langues européennes). David Bogue était un révérend  non conformiste extrêmement influent qui joua un rôle énorme dans la croissance du travail missionnaire chrétien britannique à l’étranger. Sa femme Charlotte (née Uffington) avait déjà tenté de convertir Napoléon cinq ans plus tôt alors qu’il était encore en France. Elle avait avoué à Wood qu’elle avait envoyé une version du tract de son mari à Carnot pendant les Cent-Jours, espérant que Lazare la remettrait à l’Empereur. Les Mémoires de Sainte-Hélène racontent comment le tract de Bogue en français fut envoyé à Longwood, et comment madame Bertrand remit la copie effectivement lue par Napoléon à Oakley (qui enseignait aux enfants Bertrand), bien que le grand maréchal Bertrand n’ait pu pas se porter garant de l’attention que l’Empereur avait effectivement porté à ce document.
Finalement, en février 1822, George Horsley Wood renvoya la copie prétendument lue par Napoléon à Bogue en Angleterre, au grand plaisir de Bogue. Mais tout cela avait été vain. Comme Napoléon l’avait avoué à Barry O’Meara quatre ans plus tôt : « io credo in quanto crede la Chiesa [cattolica] » (je crois ce que croit l’Église [catholique]). L’Empereur reçut probablement l’Extrême Onction et fit noter dans son testament qu’il « m[ourait] dans la religion apostolique romaine, au sein de laquelle [il était] né plus de cinquante ans » plus tôt.

Peter Hicks
Septembre 2020

Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon

*Citation d’Alexander Pope, extraite de son Essai sur l’homme (trad. de 1737) pour la phrase « Hope springs eternal ».

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