Une chronique de Peter Hicks : William Clark, l’histoire d’un vieux soldat

Auteur(s) : HICKS Peter
Partager

Dans le Dundee Courier and Argus du lundi 11 septembre 1876, fut publié le récit de William Clark, 83 ans, narrant la période où il garda Napoléon à Sainte-Hélène, 55 ans plus tôt. À en croire son histoire, il aurait même porté le cercueil de Napoléon… Le point de vue de ce soldat sur les derniers jours de l’empereur des Français est un mélange charmant et fascinant d’expérience personnelle et de rumeurs, de vérité et de fiction impossibles à démêler.

Une chronique de Peter Hicks : William Clark, l’histoire d’un vieux soldat
© Fondation Napoléon/ R. Young

« […] Dans ce village vit un vieux soldat, vétéran du 20e régiment et qui a servi comme garde de Napoléon, à Sainte-Hélène. Ses souvenirs de jeunesse sont vifs. Le nom de mon paroissien est William Clark. Il raconte :

« Je suis né le 28 décembre 1793, à Hopton, près de Thetford, dans le Suffolk. Je me suis enrôlé le 8 mai 1815 dans le 20e régiment de Sa Majesté, alors basé à Waterford. J’ai rejoint le dépôt à Newport, dans l’île de Wight. Sept mille hommes y stationnaient alors. Après sept mois à Waterford, nous sommes allés de base en base en Irlande et, le 14 février 1818, nous avons été envoyés pour relever le 53e régiment, qui avait accompagné Napoléon dans son exil à Sainte-Hélène. Nous sommes arrivés à Sainte-Hélène vers le 10 mai 1818 et y sommes restés jusque six mois après la mort de Napoléon, décédé le 5 mai 1821. Nous avons dû nous coucher par terre, une couverture pour chaque homme, que nous placions moitié sous et moitié sur nous. Sir Hudson Lowe refusa la supplique du colonel South de nous accorder de la literie : « Cela les ferait dormir trop profondément ». Aux coups de canon (marquant les 18 heures), les sentinelles se rangeaient de plus près de la maison et tous ceux en garde détachée se joignaient à la celle de Boney. Pendant la nuit, les gardes y compris les sentinelles en détachement, s’élevaient au nombre de 63 ou 64. À environ un mille de nos quartiers réguliers se trouvaient trois canons, à un endroit que nous appelions Break-neck Valley (la vallée brise-cou).

Sir Hudson Lowe était un très bon général en ce qui concerne son comportement envers ses hommes. Ce n’était pas un mauvais gentleman ; un homme très gentil et bien. Je l’ai vu maintes fois avec sa femme et ses deux filles – de sympathiques jeunes filles. Leur voiture d’office était tirée par deux bœufs. J’les ai vus aller à l’église, qui était près des quartiers de Boney. Lowe s’appuyait sur la porte d’entrée de son banc (Les bancs d’église anglicane du XVIIIe sont de petits enclos, propres à chaque famille – parfois marqué de leur nom – et rangés en ordre social). Chaque enclos dans lequel se trouve le banc possède sa propre porte d’entrée qui peut se fermer à clé.) et ne s’asseyait jamais tant que tous les paroissiens – esclaves compris – n’avaient pas de sièges. S’il voyait un homme aux pieds nus – un esclave – sans siège, il lui faisait signe et le faisait s’asseoir.

Les quartiers de Sir Hudson Lowe étaient éloignés de ceux de Napoléon. Un capitaine du 66e ou du 20e régiment était toujours en poste dans l’enceinte de Boney ; et il était de son devoir de le voir une fois par jour. Boney savait que c’était le cas, et s’il refusait de pointer, il donnait au capitaine l’occasion de l’apercevoir, sauf quand il boudait. Il était très boudeur parfois et pouvait ne pas se montrer pendant plusieurs jours. Le capitaine de quart le signalait en conséquence ; et après deux ou trois jours, Sir Hudson montait avec son état-major, sonnait la cloche et demandait : « Où est Napoléon ? » ; « Dans son bureau » ; « Dites-lui que je le veux. ». Après un éventuel certain temps, il se montrait, sans venir voir le gouverneur.

Au début de l’année 1821, Sir Hudson envoya à Napoléon l’ordre d’occuper quatre chambres qui avaient été achevées dans la nouvelle prison d’État. Napoléon, avec ses généraux, vint et regarda les appartements, et dit (d’après ce qui fut rapporté) : « Hudson m’ordonne d’occuper cet endroit, mais jamais je n’y vivrai un seul jour. » Il retourna dans ses anciens quartiers et les jours suivants se déclara malade auprès du docteur Arnott, médecin de notre (20e) régiment. Il n’a jamais été revu par la suite par aucun garde ou sentinelle ; jamais, en fait, il ne ressortit de sa maison à nouveau, jusqu’à ce qu’il fût amené à sa tombe, environ sept semaines après. Boney était l’homme le plus gros que j’aie jamais vu : les mollets de ses jambes, et sa joue aussi, vous pouviez les voir trembler quand il marchait, et pourtant il n’avait pas l’air rouge et sain que nos gens avaient. Il portait un bâton, à peu près aussi épais que mon bâton de marche, avec une pointe de fer au bout et, s’il voyait une mauvaise herbe, il la repoussait toujours avec, partout où il allait. Quatre nuits sur sept, j’étais en sentinelle, je m’endormais en marchant et je m’éloignais du chemin ; puis mes cheveux se dressaient sous la frayeur à en soulever ma casquette, car je savais que si j’étais surpris en train d’piquer du nez, j’récoltais 300 coups de fouet, pour sûr. J’ai entendu des hommes dire que leurs souffrances dues à la privation de repos à Sainte-Hélène avaient été plus éprouvantes pour eux que les celles endurées lors d’une campagne.

Napoléon mourut le 5 mai 1821. Deux prêtres étaient présents. Nous, qui devions soulever le corps, n’avions pas le droit de toucher le cercueil tant qu’un prêtre ne l’avait pas aspergé d’eau bénite. Il avait été rapporté que Napoléon voulait être enterré avec les honneurs de la royauté : accompagné de 21 coups de canons. Mais le gouverneur ordonna le tir de 19 canons, nombre attribué pour le décès d’un général. Le cercueil fut recouvert d’une grande dalle et ses quatre coins fut percés et remplis de plomb fondu, pour le fixer fermement dans son ensemble. Le reste de l’excavation avait été rempli de gravats et nivelé, et un monticule ressemblant à ceux des fosses communes fut élevé au-dessus. Une palissade de fer fut placée autour, et une sentinelle garda la tombe nuit et jour, jusqu’à ce que les troupes soient retirées. Elles le furent progressivement et notre régiment partit six mois après les funérailles.

Tout homme majeur de l’île, quelle que soit son occupation ordinaire, était tenu d’avoir des armes et de les porter régulièrement ; sir Hudson Lowe, de temps en temps, à des intervalles d’un mois ou de six semaines, obligeait les Saint-Héléniens à se rassembler en corps. Le duc de Reichstadt [sic] était à cette époque en Amérique, et l’idée circulait qu’un sauvetage de Napoléon aurait pu être tenté depuis cette partie du globe. Le Conquérant, appareil de 74 canons, mouillait dans le port et y gardait la garde. Deux sloops de guerre étaient toujours en patrouille dans les eaux environnantes.

Je crois que si jamais un homme est mort d’avoir eu le cœur brisé, c’était Boney. Il avait été déprimé depuis un certain temps avant d’être condamné à prendre ses quartiers dans la nouvelle prison d’État. Certes, ces lieux portaient le nom de prison ; mais j’ai vu dans le salon et la salle à manger et ils étaient beaux. Ils avaient été construits par les sapeurs et les mineurs et par 400 Chinois, tous hommes de métiers différents. M. Darlan [NdR : en fait, Darling] m’a dit que Napoléon avait laissé 1000 £ pour les hommes sélectionnés pour s’occuper de tout ce qui relève de ses funérailles, mais Sir Hudson Lowe révéla que la somme était si importante qu’il n’osait pas la distribuer. Napoléon aurait également donné à chaque homme de notre régiment une chaîne en or pour tenir son épinglette et sa brosse, mais nous n’avons pas été autorisés à l’accepter. »

Peter Hicks
Mars 2021

Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon.

Partager