À l’inverse, en Angleterre, le sobriquet d’« ogre corse » lui colla longtemps à la peau malgré ses efforts, depuis son départ précipité de l’île de Beauté en 1793, pour se franciser. Après sa première chute en 1814, autre déni de sa qualité de français, il fut regardé avec mépris par les Royalistes comme un « fatal étranger », Chateaubriand prétendant même qu’il n’était pas né français, car venu au monde non pas en 1769, mais un an plus tôt, alors que la Corse n’avait pas été encore vendue au royaume de Louis XV.
Parmi les rumeurs qui entoure sa naissance, on peut également citer celle lui donnant pour père biologique le gouverneur militaire de la Corse, le comte Marbeuf en raison d’une supposée liaison de ce militaire avec sa mère. Partant, cette seconde thèse, tout aussi fausse que la première, nous le présente à contrario sous un jour exagérément français.
En outre, il ajouta lui-même à la confusion en s’interrogeant sur ses origines familiales. De retour d’Égypte, devant le savant Monge, il douta que Charles puisse être son père. En effet, d’où lui venait son génie ? Du falot Charles ? Impossible jugea-t-il, ses sentiments envers son géniteur étant pour le moins mitigés, contre l’évidence toutefois tant les preuves de sa filiation sont irréfutables.
Étrange ou étrangère, son identité fut donc souvent remise en question, ce qui lui posa un problème récurrent de légitimité contre lequel, consciemment ou non, il ne cessa de lutter. Cette situation contribua assurément à faire naître le personnage que l’on connaît. En venant d’ailleurs, sa liberté de manœuvre fut à l’évidence plus grande, lui permettant ainsi de repousser bien des limites, qu’elles soient géographiques, politiques ou humaines.
Pierre Branda
Mai 2019
Pierre Branda est historien et responsable du pôle Patrimoine de la Fondation Napoléon.