Une chronique de Pierre Branda : « J’ai retrouvé mon chiffre ! »

Auteur(s) : BRANDA Pierre
Partager

Autour du chef de l‘Etat, l’atmosphère est fébrile. La France vote. Comment les électeurs vont-ils se prononcer ? Le scrutin a été plutôt calme et parfaitement régulier. Quelques incidents ici ou là mais rien de sérieux. Paris est calme. Sur les Champs-Elysées, aucune manifestation n’est à signaler. Dans les bureaux de vote, déjouant tous les pronostics, l’affluence est considérable. Dans la soirée, des premiers résultats parviennent sur le bureau du chef de l’Etat. Ils ne sont pas bons. Ceux de Paris sont vraiment mauvais. Il fallait s’y attendre, la capitale est décidément frondeuse. Parmi les conseillers du palais, la déception se lit sur les visages. Mais dans le courant de la nuit, les messages venus des préfectures se veulent plus rassurants. Après décompte de tous les bulletins, le résultat est au-delà des espérances : 67 % des inscrits et 82 % des votants se sont prononcés en faveur du régime. On sable le champagne. « J’ai retrouvé mon chiffre ! » plastronne le premier des Français.

Une chronique de Pierre Branda : « J’ai retrouvé mon chiffre ! »
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Nous sommes le 8 mai … 1870. L’empereur Napoléon III vient de faire approuver par un plébiscite sa réforme libérale de la constitution. Il reste à ce jour l’homme politique français le mieux élu à la Présidence de la République et surtout celui qui a gagné ensuite tous ses plébiscites haut la main. En 1848, il devient le premier Président de la République en étant élu au premier tour avec (excusez du peu) un score de 75 % des votants et de 62 % des inscrits, performance électorale jamais rééditée depuis. Mais son mandat de quatre ans n’est pas renouvelable. En 1851, il tente et réussit un coup d’État qu’il fait approuver par un plébiscite. Son score est encore plus écrasant : 76,5 % des inscrits et 91,6 % des votants. Un an plus tard, lors de la proclamation de l’Empire, les résultats sont meilleurs encore avec 79,6 % et 96,1 %. Rappelons par exemple que pour le plébiscite le mieux réussi de son oncle Napoléon, celui de 1802 pour approuver le Consulat à vie, les oui représentaient moins de 50 % de l’ensemble du corps électoral. On se souvient aussi du référendum perdu du général De Gaulle en 1969 après « seulement » dix ans passés à l’Élysée.

On pourrait multiplier les exemples, même s’ils ne sont pas forcément comparables, Napoléon III reste le champion incontesté du vote démocratique en France. Malgré vingt-deux ans passés au pouvoir, il conserve un socle électoral plus que solide avec plus de 80 % des votants. Qui dit mieux ? Sous la Ve République, aucun président élu au suffrage universel n’a été réélu hors période de cohabitation. En 1965, le général De Gaulle s’il a bien été réélu avec 55 % des votants seulement au second tour contre 45 % pour François Mitterrand, avait été choisi en 1958 par des grands électeurs. De l’histoire électorale de Napoléon III, nous pouvons au moins tirer deux enseignements assez contradictoires cependant. Tout d’abord nous pouvons observer qu’en dépit d’un résultat électoral ô combien favorable, aucun régime n’est à l’abri d’une chute brutale. Moins de quatre mois après le plébiscite du 8 mai 1870, la République est proclamée à la suite de la défaite militaire. Néanmoins, la quasi-stabilité de l’adhésion à sa personne de 1848 à 1870 démontre que le corps électoral français n’est pas forcément toujours partisan de l’alternance systématique et que donc, il peut être moins mouvant qu’on ne le pense généralement. Nous verrons d’ailleurs très prochainement si cet enseignement se perpétue ou non avec la réélection d’Emmanuel Macron donné vainqueur par tous les sondages. Retrouvera-t-il ses chiffres ?  Suite au prochain épisode …

Pierre Branda

Février 2022

Pierre Branda est directeur scientifique, chef de Service Patrimoine, Affaires internationales

Titre de revue :
inédit
Partager