Une chronique de Pierre Branda – L’inflation est née en France : petit rappel d’histoire économique

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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L’inflation est de retour ! Cette malédiction économique que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. En de nombreux endroits de la planète, automobilistes et consommateurs se désespèrent au fur et à mesure que leur pouvoir d’achat se réduit. 5, 10, 15 et même 20 % sont annoncés dans certains pays. Plusieurs causes à ce phénomène qui atteint nos porte-monnaie : la guerre, bien sûr, et son cortège de pénuries, la sortie de crise sanitaire qui a bouleversé le marché du travail comme les circuits d’approvisionnements et aussi – voire surtout – une émission monétaire sans limites ni retenue. Le « quoi qu’il en coûte », pratiqué en France mais aussi ailleurs, ne pouvait être sans conséquences ; il y aurait forcément des perdants. Aujourd’hui, ils sont connus. En première ligne, les épargnants, dont les économies fondent peu à peu, comme les salariés, qui voient leur pouvoir d’achat s’amenuiser.

Une chronique de Pierre Branda – L’inflation est née en France : petit rappel d’histoire économique
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Les mécanismes inflationnistes ont été très bien étudiés. Leur première manifestation de grande ampleur au cours de l’ère moderne remonte aux années 1793-1795 quand les Révolutionnaires abusèrent d’une monnaie qui avait pour nom l’assignat. Quand les biens du clergé furent « nationalisés » – c’est-à-dire saisis – en 1791 pour être vendus, une monnaie papier, l’assignat, fut créé simultanément. Ces billets n’étaient au début qu’une sorte de promesse de paiement à réaliser une fois les ventes immobilières effectuées. Une première émission de 400 millions permit de sauver un budget de l’État mal en point depuis que l’Assemblée avait annulé la plupart des impôts royaux. Alors qu’auparavant, il était nécessaire de collecter l’impôt payable en monnaie d’or ou d’argent, on prit l’habitude d’imprimer du simple papier pour faire face aux dépenses toujours croissantes du moment. Rien plus facile en apparence. Un cycle infernal débuta alors. Il allait très mal se terminer. Les émissions se succédèrent les unes aux autres, on ne compta plus en millions mais en milliards. Le système s’emballa au point que le financement de l’État ne dépendait plus que de ces « chiffons de papiers » que l’on imprimait jour et nuit. Pour être sûr de ne pas en manquer, l’État empêcha sévèrement toute velléité de grève chez les ouvriers imprimeurs.

La sanction de cette émission sans contrôle ni véritable contrepartie économique fut quasi-immédiate : l’assignat se déprécia fortement et le prix des biens ou services payables avec cette monnaie s’envolèrent. Tandis qu’elle guillotinait allégrement, la Convention tenta pour contenir la crise monétaire d’imposer un cours forcé de l’assignat, voulut bloquer les prix et même voulut punir de mort ceux qui refuseraient cette monnaie. Mais rien n’y fit. L’assignat perdit près de 90 % de sa valeur autorisant toutes les spéculations et pire encore, bloquant quasiment toute l’activité économique. Par crainte d’être payé en monnaie de singe, les acteurs économiques cessèrent de produire, notamment les paysans. Le grain se fit donc plus rare, les estomacs crièrent famine et on déplora près de 40 000 morts de faim sur tout le territoire malgré la chasse aux « accapareurs » initiée par les affidés de Robespierre. Dans le même temps, la guerre civile comme la guerre aux frontières n’arrangea rien mais compliqua tout. La première hyperinflation moderne venait de se révéler avec son cortège de malheurs. Pour la première fois dans l’histoire européenne, l’augmentation des prix résultait essentiellement d’une émission trop grande de monnaie papier et non plus seulement de la raréfaction des matières premières comme auparavant.

En 1795, comble de tout, l’assignat ne remplissait même plus son rôle premier, assurer le financement de l’État, ce dernier ne recevant plus, lui aussi, que du papier sans valeur pour paiement des droits et taxes. Ainsi n’était-il plus en capacité de rémunérer correctement ses agents comme ses fournisseurs, ce qui sema la confusion et porta la corruption au plus haut.  L’assignat ne pouvait survivre. Il devait mourir au vu et au su de tous. Le 4 février 1796, la planche aux assignats fut détruite en place publique, telle un condamné à mort. Les Thermidoriens continuèrent cependant d’émettre du papier. Quand on a gouté à la dépendance, économique ou autre, difficile de s’en passer… Pourtant, il fallait bien sevrer la France du papier monnaie et retrouver les bonnes vieilles monnaies sonnantes et trébuchantes. Mais où les trouver ?

Sur le territoire, elles avaient pratiquement disparu en vertu de la loi de l’économiste Gresham, la mauvaise monnaie (l’assignat) ayant chassé la bonne (or et argent). Il restait l’étranger , où évidemment l’assignat ne s’était pas implanté, et en particulier la riche péninsule italienne, épargnée par la guerre depuis des siècles. Royaumes, églises et principautés étaient alors immensément riches. Nous avions une armée campée près de Nice. Il suffisait qu’elle réussisse enfin à passer les Alpes, ce qu’elle ne parvenait pas à faire depuis près de deux ans, pour mettre la main sur d’immenses richesses. Pour mener à bien cette mission, il fallait un général audacieux et sur qui le régime pouvait compter. Le choix du Directoire se porta sur Bonaparte, nommé le 2 mars 1796 à la tête de l’armée d’Italie, auteur d’un plan de campagne fort séduisant. On connait la suite… Ou quand l’histoire économique influence, voire détermine, l’Histoire avec un grand H.

Pierre Branda
Juin 2022

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