Une chronique de Pierre Branda : Quand Napoléon rend les Espagnols fous de la loterie…

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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Une chronique de Pierre Branda : Quand Napoléon rend les Espagnols fous de la loterie…
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

À l’approche des fêtes de la Nativité, l’Espagne est gagnée chaque année par une drôle de fièvre, celle de la loterie de Noël. Dans les rues, les files d’attente s’allongent devant les centres où se vendent les précieux billets. Parfois même, on campe plusieurs jours avant le début des ventes pour être sûr d’être servi en premier. Le phénomène est général dans le pays. On a pu calculer que jusqu’à 98 % des Espagnols participent à cette loterie. Les billets s’achètent puis se revendent souvent au profit de bonnes causes. Le premier prix – El Gordo – affiche un gain de 4 millions d’euros mais pour acheter un billet éventuellement gagnant, il faut débourser 200 euros. Compte tenu de l’importance de la somme, il est possible de partager l’achat en ne payant qu’un dixième de cette somme par exemple. Le 22 décembre, d’innocentes mains – celles des élèves d’un orphelinat – choisissent alors les billets gagnants devant des millions de téléspectateurs qui ne rateraient pour rien au monde cette fête unique en son genre.

La première loterie de Noël date du 18 décembre … 1812. Elle avait été instituée le 23 novembre de l’année précédente par l’assemblée des Cortès de Cadix alors en lutte contre Napoléon et ses armées. Il ne s’agissait moins de distribuer de l’argent aux Espagnols que de trouver une nouvelle source de revenus pour l’armée espagnole. La recette n’était pas nouvelle. En France, la loterie vit le jour sous le règne de François Ier pour, déjà, combler les déficits publics. Rien n’a vraiment changé depuis. Car en dehors de quelques heureux mais très rares bénéficiaires, il n’est hélas qu’un seul véritable gagnant : l’État bien sûr, qui n’oublie jamais de prélever un fort pourcentage sur les sommes misées.

On peut se demander cependant pourquoi les Cortès furent obligés de recourir à cet expédient certes commode mais quelque peu singulier ? N’étaient-ils pas largement financés par l’or anglais ? Point du tout en réalité. Si la couronne britannique envoya des troupes et du matériel dans la péninsule espagnole, elle ne distribua que très peu d’or aux Cortès. La raison en était simple : cette assemblée refusa toujours de signer le traité de commerce que lui proposait Albion. En échange d’un soutien financier, l’Espagne résistante devait selon les termes de ce traité ouvrir ses colonies au commerce britannique, ce qu’elle ne consentit donc point. Partant, elle dut se financer seule, d’où l’invention de cette loterie qui a fait florès depuis. Et pour l’anecdote, le premier billet gagnant, le fameux El Gordo, portait le numéro 03604. Ne tentez point de la jouer, vous seriez surement perdant ! Mais ce n’est que mon humble conseil.

avril 2023

Pierre Branda est historien, directeur scientifique, chef du service Patrimoine et du service Affaires internationales à la Fondation Napoléon.

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