Une chronique de Pierre Branda : retour sur un été fiévreux

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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Dès le mois de mai, les esprits se sont échauffés contre le statuaire de nos rues, en particulier en Martinique, à Fort de France. Après Victor Schœlcher, pourtant à l’origine de l’abolition de l’esclavage, l’impératrice Joséphine fut à son tour victime d’une consternante fureur. ​ Sa statue fut détruite, brûlée, souillée au cœur de l’été, ce 26 juillet. Depuis plusieurs années, elle était déjà décapitée et maculée de peinture rouge sang. Au-delà de son caractère extrêmement choquant, ce vandalisme est en outre totalement ignorant de notre histoire. Il a été perpétré pour une prétendue responsabilité de l’épouse du Premier Consul dans le rétablissement de l’esclavage en 1802. Or, tout indique qu’elle n’a en rien initié ce processus bien plus complexe qu’il n’y paraît. Et ce d’autant plus qu’à cause de l’occupation anglaise, l’esclavage n’avait jamais été aboli dans son île natale sous la Révolution. 

Une chronique de Pierre Branda : retour sur un été fiévreux
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Mais au fond les auteurs de ces actes révoltants se moquent bien de l’exactitude historique. Mettre à bas des statues n’est qu’une manifestation parmi d’autres de leur volonté de diviser. Loin de susciter le débat, ils ne font que répandre la haine et encourager les réactions simplistes comme maladroites. Tandis que leurs violences se déchaînent, la voix de l’historien n’est guère entendue. Et pour cause. À regret, il ne peut que déplorer le retour du pire ennemi de sa science, l’anachronisme. Il n’en existe pas en effet de plus pernicieux comme de plus redoutable, et quand il devient la règle, la confusion s’installe partout. Dès lors, le travail de l’historien est occulté, piétiné même.
L’étude comme la recherche sont cependant loin d’être les seules victimes. S’il n’y avait qu’elles, ce ne serait peut-être pas très grave. Mais en réalité, c’est notre présent et surtout notre futur qui se trouvent menacés quand l’histoire est ainsi malmenée et en fait récupérée. Par leurs méthodes, les activistes de tout poil rendent dangereusement aveugles nos contemporains et, au total, desservent la cause qu’ils prétendent défendre. Dans le cas de l’esclavage notamment, en négligeant à dessein les raisons économiques du phénomène, on court le risque de ne point le reconnaître alors même qu’il prospère toujours dans certaines régions du monde, faute de ne pas avoir tiré les véritables leçons du passé.

Pierre Branda
Septembre 2020

Pierre Branda est historien et chef du service Patrimoine de la Fondation Napoléon.

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