Une chronique de Pierre Branda : sur le film Napoléon de Ridley Scott

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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On en parle depuis plusieurs mois voire plusieurs années, le Napoléon au cinéma de Ridley Scott est particulièrement attendu. Lundi 10 juillet 2023, la bande-annonce de ce film a fait sensation. En quelques jours, elle cumule les millions de vues sur Internet. Excellente nouvelle donc pour tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire de France, et à celle de l’empereur des Français en particulier, que ce premier succès mondial.
Mais avec cette mise en ligne, quelques critiques sont elles aussi apparues. Personne ne discute le choix du réalisateur qui triompha il y a plus de vingt ans avec le splendide Gladiator, l’histoire de ce général romain luttant contre l’empereur Commode. Ajoutons aussi que son premier film, Les Duellistes, s’intéressait déjà à l’épopée napoléonienne à travers l’affrontement de deux soldats aussi valeureux que revanchards. Un film considéré d’ailleurs comme l’un des plus réussis sur la période qui nous occupe. De ce réalisateur, on ne peut donc attendre que le meilleur.

Une chronique de Pierre Branda : sur le film <i>Napoléon</i> de Ridley Scott
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Mais quand le choix des acteurs principaux fut connu il y a quelques mois, l’oscarisé Joaquin Phoenix dans le rôle de Napoléon et Vanessa Kirby, l’une des interprètes de la princesse Margaret de la série The Crown, dans celui de Joséphine, plusieurs commentaires mirent en cause l’âge des acteurs. Trop vieux, 48 ans, pour incarner Bonaparte à propos de l’acteur choisi fit-on remarquer. Et trop jeune dit-on aussi pour l’actrice principale, 35 ans, alors que tout le monde sait que Joséphine était plus âgée de six ans que son impérial mari. On s’inquiéta davantage quand on connut le propos central du film : Napoléon aurait conquis le monde pour séduire Joséphine et une fois séparé d’elle, il aurait voulu aller plus encore cette fois pour la détruire, ce qui causa sa perte. Joli sujet de fiction mais assez loin de la réalité.

Aujourd’hui, nous pouvons voir les premières images de ce Napoléon (cf. bande-annonce ci-dessous). Elles sont incontestablement réussies sur le plan esthétique, rythmées par une musique comme seul Hollywood sait les produire. Mais à y regarder de plus près, les erreurs historiques pullulent. En Égypte, Bonaparte canonne les Pyramides, à Austerlitz, il noie l’armée russe à coups de canon sur les étangs gelés de Menitz et de Satschan, et en Syrie, à moins que ce ne soit au siège de Toulon, il se lance lui-même à l’assaut des forts ennemis. L’image d’un homme aussi invincible qu’implacable se dessine. Le fond comme la forme nous interpellent donc tant ils paraissent sujet à caution.

Peut-on cependant faire le reproche à un réalisateur de fiction de s’éloigner même assez largement de la réalité ? Ce serait lui faire un bien mauvais procès, tant l’expression artistique doit rester libre. Et surtout s’il est bien un personnage historique qui ne pourrait reprocher pareil travestissement de l’histoire, c’est bien Napoléon lui-même. Il fut en effet un maître en matière de fiction.

Ses réalisateurs à lui s’appelaient notamment David ou Gros. Par leurs œuvres, ces peintres fameux ont eux aussi mis en scène une réalité fantasmée ou sublimée. On pense notamment aux célébrissimes Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard, Le Sacre, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa ou encore Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau. Ces œuvres sont magnifiques mais ne reflètent pas exactement la réalité historique. Elles ont d’ailleurs inspiré plusieurs scènes du film, preuve s’il en était de l’incroyable réussite de Napoléon en matière de contrôle de son image. Et quant aux différents scénarios de son épopée, il ne cessa de les réécrire, à Sainte-Hélène notamment, mais aussi à travers les Bulletins de la Grande Armée, créant ainsi sa propre légende.

Dans le cas de Ridley Scott, ne boudons pas notre plaisir, si plaisir il y a. Car, au fond, le plus important est que le spectacle soit réussi pour un film de cinéma. C’est ce qu’il nous faut souhaiter avant tout pour cette œuvre de fiction qui peut, en outre, susciter un nouvel engouement autour de Napoléon Ier. Il nous faudra désormais attendre le 22 novembre 2023, jour de sortie de ce Napoléon dans les salles obscures, pour savoir s’il s’agit d’un grand film ou non. Et pour une plus grande exactitude historique, il sera toujours temps de se plonger ou de se replonger dans quelques classiques indiscutables, livres ou documentaires.

Bon 14 juillet et bel été à toutes et à tous !

Pierre Branda
Juillet 2023

Pierre Branda est directeur scientifique de la Fondation Napoléon.

 

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