Une chronique de Stéphane Faudais : Quand Napoléon III restaure le prestige de la Légion d’honneur

Auteur(s) : FAUDAIS Stéphane
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La création de la Légion d’honneur, par Bonaparte Premier Consul, le 19 mai 1802, posait au départ un problème de fond : comment rétablir un système complet de récompenses inspiré des anciens ordres honorifiques alors même qu’ils avaient été supprimés par la Révolution ? Afin de résoudre cette contradiction, l’idée-maitresse de la démarche de Bonaparte est la suivante : promouvoir l’égalité entre les citoyens, idéalement hors de tout contexte politique. En effet, si elle a survécu si longtemps, c’est parce que la Légion d’honneur n’est ni un pouvoir, ni un contrepouvoir et qu’aucun privilège n’est lié à sa possession.

Une chronique de Stéphane Faudais : Quand Napoléon III restaure le prestige de la Légion d’honneur
Stéphane Faudais © DR

Et l’ordre doit une bonne partie de sa résilience au Second Empire. Ainsi, Louis-Napoléon Bonaparte, élu président le 10 décembre 1848, réaffirme-t-il immédiatement la place de la Légion d’honneur, non seulement au sein des institutions, mais surtout de la société française, après une succession de régimes qui recréent les ordres royaux tels que le Saint Esprit et l’ordre de Saint Louis. Du point de vue phaléristique, le décret du 31 décembre 1851 rétablit l’aigle sur les drapeaux de l’armée et simultanément sur la croix de la Légion d’Honneur. Le décret du 16 mars 1852 fait placer une couronne en bélière sur l’insigne. Les nominations dans l’Ordre ont lieu deux fois par an, le 1er janvier et le 15 août, jour de la fête de l’Empereur. Des distributions exceptionnelles ont lieu dans des circonstances particulières de nature différentes : guerres, expositions universelles, épidémies, centenaires. Napoléon III, très intelligemment, pérennise l’héritage de son oncle tout en innovant.

Une évolution importante est à retenir : c’est une véritable ouverture de l’Ordre qui s’opère grâce à l’action de l’empereur, notamment avec le décret du 16 mars 1852. Jusque-là, les militaires représentent l’essentiel des effectifs de décorés. Désormais, la société civile est largement concernée. La Légion d’honneur devient est une distinction égalitaire, qui met au même niveau l’officier supérieur, l’artiste et le haut fonctionnaire ; et, progressivement, sous l’impulsion méconnue d’Eugénie, on commence à récompenser autant l’individu que la fonction, reflétant très fidèlement la richesse de la société française et de ses métiers. L’ordre devient aussi solide outil de politique sociale. Eugénie convainc ainsi son mari que les femmes doivent être décorées elles aussi. L’historien de la Légion d’honneur Marsangy affirme : « En sociologue avisé, l’empereur comprenait le rôle que les femmes allaient bientôt prendre dans la vie de la Nation ». Il s’agit d’une innovation majeure. Ainsi Angélique Duchemin, ancienne cantinière, pensionnaire de l’hôtel des Invalides, est décorée le 15 août 1851 à l’âge de 79 ans. Mais retenons surtout Rosa Bonheur, célèbre artiste-peintre. Détail exceptionnel : le décret de nomination de chevalier est signé par l’impératrice en 1865. Il s’agit de la septième femme à recevoir la Légion d’honneur, mais la première à être promue officier en 1894. Un évènement marquant dans l’histoire du féminisme, d’autant plus que la croix lui est remise par Eugénie elle-même, qui fait le déplacement au domicile de l’artiste et lui dit : « Enfin, vous voilà chevalier. Je suis toute heureuse d’être la marraine de la première femme artiste qui reçoive cette haute distinction. J’ai voulu que le dernier acte de la régence fût consacré à montrer qu’à mes yeux le génie n’a pas de sexe ».

La Légion d’honneur est aussi un précieux outil d’influence diplomatique. Un seul exemple : Abd-el-Kader. Retenons quelques autres attributions, éclairant la notion de modernité qui vient d’être évoquée. Ainsi, en 1873, le ministre Jules Simon propose-t-il la Légion d’honneur à Georges Sand, qui lui répond « Ne faites pas cela, cher ami ; non, ne faites pas cela, je vous en prie ! Vous me rendriez ridicule. Vrai, me voyez-vous avec un ruban rouge sur l’estomac ? J’aurais l’air d’une vieille cantinière ! ». Le peintre Eugène Delacroix est promu commandeur le 14 novembre 1855 à l’occasion de l’Exposition universelle. Les compositeurs Charles Gounod et Jacques Offenbach. Les scientifiques Claude Bernard et Louis Pasteur. Le futur Saint curé d’Ars. Les villes elles aussi peuvent être décorées : sous le Second Empire, une seule ville, Roanne, dans la Loire, le 7 mai 1864 pour des faits datant de 1814.  Mais dix villes sont distinguées pour les services rendus à la Nation pendant la guerre de 1870-1871, comme la ville de Bazeilles. Dernier fait marquant : Napoléon III, en 1859, lors de la bataille de Magenta, décide que les régiments ayant pris un drapeau à l’ennemi pourront être décorés de la Légion d’honneur.

La Légion d’honneur comme confirmation de la formidable modernité du Second Empire, en somme !

Stéphane Faudais est issu de l’école militaire de Saint-Cyr. Il est colonel de l’armée de terre et docteur en histoire (boursier de la Fondation Napoléon en 2008). Il est l’auteur, entres autres, d’une biographie reconnue du maréchal Niel (Bernard Giovanangeli Éditeur, 2012) pour laquelle il a reçu la médaille de bronze de l’Académie des jeux floraux de Toulouse.

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