L’Observatoire n’avait pas encore travaillé spécifiquement sur Napoléon, jusqu’à ces jours-ci. L’empereur apparaissait bien en troisième position dans son baromètre sur les « personnages historiques les plus cités » (1er : de Gaulle ; 2e : Pétain), mais restait à savoir ce qu’en disent, au fond, nos hommes publics, avec accessoirement une petite évaluation de leurs connaissances dans cette matière qui nous est chère. C’est chose faite, pour un bilan de l’année 2024 établi par François Houdecek, avec la Lettre d’information n° 16 de l’Observatoire de ce mois d’avril.
Si on parle beaucoup de Napoléon dans la presse et les réseaux sociaux (plus de 335 000 mentions), le moins qu’on puisse dire est que, lorsque les politiques veulent se servir de lui (un millier de fois en 2024), leurs connaissances sont assez générales, convenues et, pour tout dire, ténues.
La moitié des mentions provient des représentants de La France insoumise, le reste se partage entre les autres groupes de l’Assemblée nationale. Pour les premiers, suractifs dans l’emploi des références historiques, les poncifs rebattus sont des vérités et, évidemment, leur Napoléon est un dictateur, un esclavagiste et un adversaire de l’égalité hommes-femmes. Ils expriment donc un rejet du personnage, ce qui est absolument leur droit. S’ils les souhaitaient vraiment, ces débats mériteraient d’être lancés ou recommencés. Mais force est de constater qu’en dépit des efforts des historiens, nous en sommes quasiment, sur le fond, au début des années 2000. C’est comme s’il n’y avait pas cinquante livres, dix émissions de télé et autant de podcasts sur le Premier Empire chaque année, de quoi mieux appréhender le Consulat et l’Empire. C’est un peu comme si, une fois de plus, les connaissances de ces émetteurs péremptoires n’avaient pas dépassé le stade du slogan et d’un « prêt-à-penser » passé de mode. Le constat est un peu triste, d’autant qu’on est en droit de considérer que ces approximations et même parfois les idées fausses doivent se retrouver aussi lorsqu’il est question des autres personnages et périodes historiques qui jalonnent les « sorties » de ces Insoumis. Il s’agit en général de personnes jeunes qui ont donc connu l’époque où l’enseignement scolaire favorisait la formation de son propre socle de connaissances. Beaucoup n’ont pas même essayé.
Vous me direz : ces personnalités ne sont pas là pour donner des cours d’histoire. Vous aurez mille fois raison, même si un peu de culture solide ne saurait faire de mal. On fera seulement espérer que, s’ils en parlent, le mieux serait qu’ils commencent par apprendre l’histoire, au moins un peu. On pourrait ajouter (non sans facilité, j’en conviens) que Georges Pompidou terminant une conférence de presse en citant un poème de Paul Eluard n’avait pas eu besoin de traficoter ses vers pour toucher juste.
Une fois encore, on sent un décalage entre une certaine modération, une envie de savoir et de connaître de l’ensemble des intervenants presse et réseaux sociaux (ce que manifestent les « quidams » dans leurs propres communications), contre le fréquent désintérêt du fond et des incertitudes historiques dans la parole publique. On propose à ces Messieurs-Dames de passer nous voir et, si le temps leur manque, d’écouter nos podcasts, de regarder nos vidéos ou de s’abonner à notre lettre hebdomadaire. Ils verront que, comme l’écrivait René Rémond : « l’histoire est l’apprentissage de la complexité ».
Thierry Lentz, directeur général de la Fondation Napoléon (avril 2025)