Une chronique de Thierry Lentz : « Le Napoléon de Ridley Scott : tout ça pour ça »

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Après plusieurs mois d’attente nourrie d’extraits, de photos, d’interviews et de petites polémiques, campagne soigneusement orchestrée par la production sur les réseaux sociaux et dans la presse spécialisée, le public commence à découvrir le (déjà fameux) Napoléon de Ridley Scott.

Une chronique de Thierry Lentz : « Le <i>Napoléon</i> de Ridley Scott : tout ça pour ça »
© Fondation Napoléon/Rebecca Young

Un grand film sur Napoléon ? On l’a annoncé et promis en mettant sur le tapis toutes les garanties : un réalisateur au savoir-faire reconnu pour les grandes fresques (Ridley Scott), des acteurs de premier plan (le puissant Joaquin Phoenix et la délicieuse Vanessa Kirby), de gros moyens (130 millions de dollars) et, surtout, une grande histoire, celle de Napoléon, dans laquelle il n’y a qu’à trier et se servir pour parvenir à un bon scénario.

Compte tenu de ce qu’on en avait vu dans les teasers et des déclarations de Scott sur son pitch (« Napoléon conquiert le monde pour conquérir et garder Joséphine »), sans parler de sa comparaison Napoléon-Hitler fréquente chez les Britanniques les plus ignorants, on était pourtant un peu inquiet en s’asseyant dans la salle de projection. Mais nos amis cinéphiles avaient voulu nous rassurer, nous rappelant Les Duellistes, Gladiator, Exodus et autres films « historiques » du réalisateur américano-britannique, les interprétations passées de Phoenix (même si le Joker a peu à voir avec Napoléon), la performance de Kirby dans la série The Crown. Le spectacle serait exceptionnel, les batailles et les décors formidables, les costumes impeccables, les dialogues et la musique soignées. Il y aurait des batailles, des ponts d’Arcole, des Bérézina, des palais et des alcôves. La grande histoire dans une salle obscure !

On entra donc dans la salle avec un réel espoir de passer un bon moment, quitte à négliger ou à pardonner les raccourcis et erreurs historiques, parce que le cinéma est ce qu’il est et que les scrogneugneux ou ceux qui veulent apprendre l’histoire n’ont qu’à regarder des documentaires (ou lire nos livres !). Alexandre Dumas trottait dans notre tête, avec la fameuse saillie que son temps tolérait : « J’ai violé l’histoire, mais nous avons eu de beaux enfants ». On se revoyait au même endroit, scotché par les dix premières minutes époustouflantes de Monsieur N., il y a déjà vingt ans. On était sûr que, même un peu trop vieux et peu ressemblant, Phoenix allait monter à sa façon, qui serait forte, sur le podium des Napoléon du septième art, accueilli par Albert Dieudonné, Marlon Brando, Philippe Torreton, Christian Clavier et autres Pierre Mondy ou Raymond Pellegrin. Et puis, avec une durée de deux heures trente dont on nous disait qu’elles étaient savamment partagées entre le grandiose et l’intime, on nous montrerait sans doute le foisonnement de l’époque, la complexité des personnages et, surtout, de bons moments d’action. On ne redoutait pas la médiocrité, on espérait la justesse de l’ambiance et de l’époque, qui excuse les fantaisies sur les faits.

C’est finalement Talleyrand qui a supplanté Dumas : « Méfiez-vous de la première impression, c’est souvent la bonne ». On est sorti déçu. Très.

Au public désormais de se faire une idée dès le 22 novembre.

Thierry Lentz, directeur général de la Fondation Napoléon (17 novembre 2023)

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