Une chronique de Thierry Lentz : Napoléon, Beethoven et l’Héroïque

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Nous célébrons cette année le 250e anniversaire de la naissance de Beethoven, né à Bonn le 16 décembre 1770. Même si Napoléon et lui ne se sont jamais rencontrés (il est vrai que la notoriété de Ludwig était alors faible en France), les deux hommes sont liés pour l’éternité par la fameuse 3e symphonie, dite « Héroïque », qui aurait dû être dédiée à « Bonaparte » et le fut finalement au prince Franz-Josef Lobkowitz, général (quoique marchant depuis l’enfance avec des cannes), violoniste et mécène.

Une chronique de Thierry Lentz : Napoléon, Beethoven et l’<i>Héroïque</i>
Thierry Lentz © Eric Frotier de Bagneux

Commencée en 1802, achevée en mai 1804, exécutée en avant-première dans une propriété de Lobkowitz, la symphonie fut exécutée pour la première fois en public en avril 1805 au Théâtre An der Wien, sous la direction du maestro en personne. Elle fut publiée à la fin de 1806, avec sa dédicace au prince-mécène, sous le titre Sinfonia Grande –Eroïca- per festeggiare il sovvenire di un grand Uomo (Grande Symphonie- Héroïque- pour célébrer le souvenir d’un grand Homme).

À l’origine, on en est certain par un manuscrit de la main de Beethoven, daté du 26 septembre 1804 (après l’achèvement de la composition), la symphonie devait s’intituler Sinfonia Grande-Bonaparte. Le fait est confirmé par les Mémoires de Ferdinand Ries, son élève, qui affirma avoir vu les brouillons de l’œuvre avec cette mention. Le même raconte l’anecdote cent fois répétée depuis : apprenant que Bonaparte s’était fait proclamer empereur et envisageait de se faire couronner, Beethoven se serait écrié : « Ce n’est donc rien de plus qu’un homme ordinaire ! » ; il aurait alors rageusement déchiré le brouillon de la page de titre et en aurait recommencé un autre, avec la mention Sinfonia Eroïca.

Les faits, signalés dans les mêmes termes par d’autres témoins, semblent parfaitement établis et reconnus par les grands spécialistes de Beethoven, dont Jean et Brigitte Massin, auteurs de la biographie de référence en français (Ludwig van Beethoven, Fayard, 1967, toujours disponible).

Ludwig van Beethoven avait suivi avec passion la carrière de Bonaparte. Il le considérait comme la réincarnation d’un consul romain, héros mais aussi dompteur de la Révolution française. Déçu une première fois par la signature du Concordat, il le lui avait apparemment pardonné puisqu’il envisageait de lui dédier sa prochaine symphonie lorsqu’il la mit en chantier. La proclamation de l’Empire et l’idée du Sacre provoquèrent la rupture… ce que Napoléon évidemment ne sut jamais.

Donc, Beethoven déchira la page de titre qu’il avait préparée… Alors comment expliquer que soit conservée au Archives de la Société philarmonique de Vienne une partition de L’Héroïque où le nom de Bonaparte a été rageusement biffé, jusqu’à faire un trou dans le papier. Il semble bien qu’il s’agisse d’une copie contemporaine, qui n’est pas de la main du compositeur, dont on peut supposer qu’elle était destinée à être envoyée… à Napoléon. Elle fut conservée par Beethoven qui s’en servit pour inscrire des corrections postérieures. Quant à la rature, les spécialistes pensent qu’elle est bien postérieure et pas de son fait. En clair : la copie est vraie et la rature est (probablement) fausse.

Quant au « Grand Homme » dont la 3e célèbre le souvenir, il n’est pas sûr qu’il s’agisse de Napoléon. Dans une étude approfondie datant de 1997, l’historien autrichien Walter Brauneis a démontré de façon crédible que la dédicace finale, celle qui figure sur la partition imprimée fin 1806, visait le prince Louis de Prusse, tué par un hussard français à Saafeld, le 10 octobre précédent. Beethoven l’avait plusieurs fois rencontré à Vienne et le prince lui avait marqué beaucoup d’intérêt. Le compositeur était, qui plus est, dans sa période de détestation de Napoléon.

Alors, me direz-vous, Napoléon n’a plus rien à voir avec la 3e symphonie ?

Que nenni. Beethoven se « réconcilia » plus tard avec l’Empereur. En 1809, lors de la seconde occupation de Vienne, il confia à un de ses amis français qu’il ne refuserait pas d’être convoqué. Il ne le fut pas. Il rappela par la suite à plusieurs reprises à ses amis et correspondants que c’est à lui qu’il pensait en composant L’Héroïque, déclarant même, en apprenant la mort de Napoléon et parlant de la marche funèbre du deuxième mouvement : « Il y a dix-sept ans que j’ai écrit la musique qui convient à ce triste événement ».

C’est si vrai que cette marche retentira le 5 mai 2021 dans les jardins de Longwood pour la cérémonie du bicentenaire.

Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon
Avril 2020

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