Une chronique de Thierry Lentz : Paris-Rouen-Le Havre, un projet ancien et… napoléonien

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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On a entendu parler ces derniers temps, notamment par Mme la Maire de Paris et M. Jacques Attali, d’idées « fortes », « nouvelles », « innovantes » concernant ce qu’on appelle le « Grand Paris ». A y regarder de près, ces idées ne sont pas si neuves qu’il y paraît. Elles remontent en réalité au Consulat. C’est au moins la preuve que, sans vraiment le dire, les intervenants sur ce dossier ont un peu appris ou fait regarder ce qu’en dit l’histoire.

Une chronique de Thierry Lentz : Paris-Rouen-Le Havre, un projet ancien et… napoléonien
Thierry Lentz © Éditions Perrin / Bruno Klein 2020

Voici plus de cinq siècles et demi que François Ier en avait eu le premier le pressentiment, qui prescrivit en juin 1541 à l’architecte Girolamo Bellarmato de créer un « port et havre » sur la côte normande afin que le commerce maritime trouve un débouché au plus près de Paris. L’aventure d’un des plus grands ports français, aussi rationnelle sur le plan économique que militaire, venait de commencer. Elle ne fut ralentie qu’à notre époque qui oublie parfois l’importance stratégique du commerce maritime et le rôle que les ports français pourraient jouer dans ce secteur, au niveau européen et mondial.

Avec François 1er, Richelieu et Vauban, Le Havre connut un développement tel qu’en 1771, le commissaire général de la marine Mistral louait encore sa « situation unique » et le qualifiait de « père nourricier du royaume ». Trente ans plus tard, ce constat était toujours d’actualité et lors de sa visite triomphale en Normandie, la première en province qu’il effectua comme chef de l’État, Bonaparte lança l’idée que certains voudraient revigorer aujourd’hui : « Paris, Rouen, Le Havre ne sont qu’une même ville dont la Seine est la grande rue ». C’était le 9 novembre 1802, lors d’un banquet offert par la municipalité. Puis, devant les membres tout frais nommés de la chambre de commerce, le Premier Consul fixa l’objectif du port : « Détourner au profit de la France une partie du commerce d’entrepôt qui a successivement enrichi les villes hanséatiques et les ports de Hollande ». Même si, Blocus continental et représailles anglaises obligent, Napoléon ne put mener à bien son projet, le XIXe siècle fut un âge d’or pour le port du Havre et les points de passage commerciaux sur la Seine. Après la deuxième Guerre mondiale, les gouvernements de la Libération consentirent de gros efforts pour reconstruire et –c’est le frêle « bon » côté des malheurs de la guerre- moderniser les infrastructures portuaires. L’idée de faire du Havre le complément de Paris et de Rouen -qui ces derniers temps remercie bien mal son bienfaiteur avec le projet de déplacement de sa statue- l’étape principale de la grande artère fluviale fut abandonnée dans les années 1970 au profit des villes nouvelles et autres tentatives de décongestionner Paris et sa proche banlieue.

Les temps ont bien changé depuis Bonaparte, mais ses propos n’ont pas tant perdu de leur actualité qu’on pourrait le croire. Son idée revit aujourd’hui à travers un immense projet d’aménagement du territoire nommé (un peu abusivement) le « Grand Paris ». Donner de l’air à la capitale, désenclaver une région qui, bien que proche, reste peu accessible, coordonner la mer, l’air et le rail (celui-ci a besoin d’une bien belle modernisation !) tout en garantissant aux hommes un cadre de vie pensé pour eux, voici bien un grand projet à l’échelle de notre époque, avec le besoin de reprendre en main le développement erratique de la région parisienne tout en favorisant celui des contrées et des populations normandes.

Napoléon y avait déjà pensé.

Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon

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