Une chronique de Thierry Lentz : « Reconstitution, histoire et spectacle vivant »

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Les bicentenaires napoléoniens ont confirmé l’importance pour nos concitoyens de « notre » matière. La demande est forte et l’offre suit. Les nouveaux médias et les techniques avancées l’ont adoptée comme sujet ou comme toile de fond, ce que nous tentons d’ailleurs de faire à la Fondation Napoléon. Depuis la fin des années 1990, tous les supports ont connu, soit une confirmation -et saluons ici la bonne santé du livre-, soit une entrée dans les outils utiles à la connaissance -Internet, jeux en ligne, réseaux sociaux, réalité virtuelle, IA, etc..-

Une chronique de Thierry Lentz : « Reconstitution, histoire et spectacle vivant »
© Fondation Napoléon/Rebecca Young

Une récente immersion dans un bivouac napoléonien à Auxerre, avec « jus de chaussette » dans un gobelet en argent et l’honneur d’avoir mis à feu un obusier (ma première fois !) m’ont convaincu qu’il fallait reparler aux lecteurs de cette lettre de la reconstitution historique. Car s’il est une activité qui a littéralement explosé en un quart de siècle, en notoriété comme en présence, c’est bien celle-ci. Il n’a besoin que de volonté, de patience, de ténacité et du courage de la pratiquer par tous les temps. Longtemps confinée à un cercle d’initiés, elle a profité des bicentenaires pour s’imposer comme un vecteur essentiel de l’histoire napoléonienne à destination du public le plus large… y compris les flâneurs et promeneurs qui la croisent à l’occasion. Il n’est qu’à voir comment les organisateurs d’événements se disputent la présence des différents groupes pour des animations de lieux privés ou publics, en France comme à l’étranger. Tout le monde a bien sûr entendu parler des « grandes » reconstitutions de Waterloo, Austerlitz, Fontainebleau, Golfe Juan ou Montereau. Elles sont les vitrines de dizaines d’autres, moins connues mais pas moins populaires.

Qui plus est, le temps où les historiens « patentés » observaient les reconstitutions avec une sorte de condescendance est révolu. Ils s’y intéressent même de plus en plus. Il est vrai que les reconstituteurs ne travaillent pas moins leur matière que les historiens dans leur cabinet de travail. Leur bibliothèque en témoigne et il suffit d’échanger avec eux (au bivouac !) pour constater qu’ils en connaissent plus qu’un bout, notamment sur tout ce qui touche au quotidien des armées du début du XIXe siècle. On serait même tenté d’ajouter : et, en plus, avec le sourire et une vraie pédagogie. Lorsqu’ils opèrent, ils donnent à leur public ce qui manquera toujours à l’étude livresque, les sensations « physiques ». Et, autour d’un feu de bois ou près de leurs tentes, on s’aperçoit bien vite que l’on a affaire à des spécialistes passionnés et compétents, auxquels le succès n’est pas monté à la tête.

Au-delà des chercheurs individuels, des universités commencent à s’intéresser à leur pratique au travers d’une matière nouvelle : l’histoire vivante. Rarement adjectif aura été mieux choisi, sans qu’il soit besoin de changer quoi que ce soit aux habitudes, traditions et mode d’organisation des pratiquants de la reconstitution. On a envie de leur dire : ne changez rien car c’est tel que vous êtes que vous êtes passionnés et passionnants.

Une dernière remarque. Les gestionnaires de la culture se gargarisent, se pâment et dépenses beaucoup pour le « spectacle vivant ». Outre que l’expression et la pratique sous-tendraient presque que les autres formes artistiques sont « mortes », on aimerait qu’ils assistent à l’effet que produit dans une ville un bivouac bien fait, un défilé de grognards bien « vivants » ou à une démonstration d’artillerie. Si leur but est bien d’amener la culture au plus près des citoyens avec des « prestations » en direct, ils classeraient bien vite la reconstitution historique dans leur nomenclature à la mode. Au fond, il n’y a rien de plus « pop », « rock », disruptif et jouissif qu’un soldat de Napoléon marchant sur de l’asphalte.

Thierry Lentz, directeur général de la Fondation Napoléon (avril 2025)

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