Une chronique de Thierry Lentz : Statue de Napoléon à Rouen , c’est bien le respect de notre histoire qui est en jeu

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Une chronique de Thierry Lentz : Statue de Napoléon à Rouen , c’est bien le respect de notre histoire qui est en jeu
La statue de Napoléon à Rouen, carte postale ancienne (vers 1900) © collection R Young

Il y a près de 150 ans que les Rouennais étaient habitués à voir une statue équestre de Napoléon Ier devant leur Hôtel de Ville, sur l’actuelle place Charles-de-Gaulle. Mais depuis juillet 2020, le monumental piédestal sur lequel cette œuvre du sculpteur Gabriel Vital-Dubray (1813-1892) dominait les lieux est orphelin. La statue en a en effet été retirée et confiée pour restauration aux spécialistes de la fonderie Coubertin de Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

Quinze mois plus tard, elle serait prête à reprendre sa place si le maire socialiste de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, ne souhaitait pas la remplacer par l’effigie d’une autre figure, de préférence féminine. Il a d’ailleurs proposé qu’il s’agisse de Gisèle Halimi. Quant à Napoléon, le maire de Rouen se verrait bien l’excentrer sur l’île Lacroix, aux pieds du pont Corneille dont il décida la construction.

La polémique a été vive à l’annonce de ce projet. Si bien que l’édile a été contraint de rétropédaler : on l’aurait mal compris, sa proposition n’était qu’indicative, de même que son choix de Gisèle Halimi. Et Mayer-Rossignol de citer désormais Simone Veil, Simone de Beauvoir, Olympe de Gouges et même Jeanne d’Arc, pourtant déjà bien présente dans l’espace public rouennais. Il en appelle enfin à un  « débat nuancé », ce qui ne lui était pas venu à l’esprit il y a encore quelques mois.

Expression paradoxale de cette « nuance », la municipalité a laissé se dérouler le weekend dernier une performance éphémère de l’artiste Mieszko Bavencoffe. Se disant « spécialiste de l’empereur » qu’il a en effet déjà représenté sur sa chaise d’aisance sous le titre délicat de « caca », le plasticien a pu installer sur le piédestal une représentation du grand homme en livreur Deliveroo pratiquant une « roue arrière » sur son vélo, détournement « marrant » (sic) du tableau de David Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard sur un cheval cabré.

Cette provocation inopportune, mais sûrement pas innocente, a remis une pièce dans la machine à polémique et obligé le maire à préciser ses intentions. Il promet que « la population » tranchera lors d’une consultation organisée à la fin de l’année. A part qu’elle aura lieu par Internet, on ne connait pas les modalités de l’exercice, et notamment pas les solutions qui seront proposées.

Aux nombreux courriers qu’il reçoit, M. Mayer-Rossignol répond qu’il n’est pas question de déboulonner ou de liquider « quelque pan de l’histoire » que ce soit, mais de donner « enfin » plus de places aux femmes.

Ces déclarations floues et tardives ne masquent le fond de l’affaire qui tient de la « cancel culture », ici au sujet des éléments les moins contestés de l’histoire locale. On ne fera certes pas le reproche au maire de la méconnaître, mais on l’imagine volontiers prisonnier de son désir de marquer son mandat par ce qu’il croit être « un geste fort » et de donner des gages à sa majorité, où siègent quelques militants radicaux pour qui tout a commencé à Rouen avec leur élection du printemps 2020 (67% des voix pour la liste d’«union de la gauche» mais 70% d’abstention).

Cette statue de Napoléon n’est pourtant pas arrivée à Rouen et à cet endroit par hasard. Elle marque les efforts consentis par son gouvernement pour moderniser la ville et relancer ses manufactures. Chacune des trois visites à Rouen du Premier Consul puis de l’Empereur (deux en 1802, une en 1810) a été suivie de décisions urbanistiques et économiques qui ont marqué la ville. Le lointain prédécesseur de M. Mayer-Rossignol, Charles Verdrel [le discours a en fait été prononcé par Henry Barbet, commandeur de la Légion d’honneur et ancien maire de Rouen, note de napoleon.org], le souligna dans le style de son époque lors du discours inaugural de la statue de Napoléon, le 15 août 1865 : « Avec son règne a commencé une ère nouvelle et notre industrie est une des créations de son génie ».

Face à ce bilan, il serait facile de se demander en quoi Mesdames Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir ou Olympe de Gouges ont rendu service à Rouen et à la Normandie pour mériter que leur effigie (qu’on n’ose imaginer équestre) remplace celle d’un tel bienfaiteur de la ville.

Mais, on l’a compris, il ne s’agit pas simplement de déplacer une statue, dont la présence n’a jamais été contestée par les Rouennais. Quoiqu’en disent les autorités locales, il y a dans cette opération une volonté idéologique, entre le rejet de l’histoire nationale et la tentation d’une «culture de l’annulation» importée d’un monde anglo-saxon que par ailleurs ils exècrent à bien des égards.

Sur ce point, la majorité municipale n’a pu que sentir, aux multiples réactions qu’il a suscitées, que son projet est contesté par une partie non-négligeable des habitants. Partant, l’idée de la consultation « citoyenne » n’a d’autre but que de donner une couleur participative et démocratique à une décision qui ne sera pas remise en cause sans la mobilisation de la majorité silencieuse. Sinon, une poignée de militants décidera pour tout le monde. C’est toujours en s’appuyant sur l’à-quoi-bonisme et la paresse de leurs adversaires que les rouges-roses-verts, les zadistes et décolonialistes de tous poils imposent leurs solutions. Il est donc à craindre que Napoléon, une fois de plus, sera relégué sur une île et qu’un peu plus d’argent public sera engagé pour concevoir une nouvelle statue sans réel rapport avec l’histoire rouennaise.

Féminiser l’espace public ou la toponymie n’est pas en soi critiquable et c’est sur ce lieu commun que s’appuient le maire et son équipe. En jurant-crachant œuvrer pour la « parité » (qui ici a bon dos), à Rouen et ailleurs, la « cancel culture » est à l’œuvre, et ne croyons pas une seconde que l’affaire de la statue rouennaise est une malheureuse coïncidence

Thierry Lentz, septembre 2021
Thierry Lentz est directeur de la Fondation Napoléon

Ce texte a été publié le dimanche 26 septembre 2021 dans le quotidien Le Figaro, que nous remercions de nous avoir autorisé à le publier sur notre site napoleon.org.

Lire ou relire la chronique de Thierry Lentz du 15 septembre 2020 sur la statue de Napoléon à Rouen

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