Une chronique de Thierry Lentz : un magnifique bicentenaire

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Le bicentenaire de Napoléon a été une belle réussite : 500 événements recensés par la Fondation Napoléon, des modestes cérémonies, reconstitutions ou conférences locales aux prestigieuses expositions parisiennes dont celle de La Villette et ses probables 250 000 visiteurs d’ici au 24 décembre ; 130 partenaires du label « 2021 Année Napoléon » ; entre 100 et 130 000 exemplaires vendus des 70 livres parus depuis le 1er janvier ; une vingtaine de numéros spéciaux de magazines, historiques ou non, avec des ventes proches des 200 000 exemplaires ; une dizaine de documentaires nouveaux et un nombre considérable de rediffusions à la télévision ; des podcasts à foison, y compris produits par les radios publiques (formidable travail de Philippe Collin pour France Inter, par exemple) ; des réseaux sociaux en feu (ceux de la Fondation ont multiplié par trois leur fréquentation, avec un pic spectaculaire le 5 mai) ; des débats quasi quotidiens dans la presse ou sur les chaînes d’information en avril et en mai, auxquels Pierre Branda, François Houdecek, Irène Delage, Peter Hicks, Chantal Prévot et moi avons participé (la Fondation a été partout !) ; des pièces de théâtre originales ou des reprises d’œuvres plus anciennes dont un bijou de nouvelle mise en scène de L’Aiglon par Maryse Estier. Le « volume » des événements et publications est comparable à celui du bicentenaire de la naissance de l’empereur, en 1969.

Une chronique de Thierry Lentz : un magnifique bicentenaire

Ces événements ont connu un grand succès populaire. C’est ce que l’historien Jean-Philippe Rey a appelé un « bicentenaire par le bas ». Accompagné d’une forte mobilisation populaire comparable en volume à ce qui avait eu lieu en 1969 pour les deux cents ans de la naissance de Napoléon, à la différence qu’elle a été cette fois imposé « par le bas ». Les Français de tous âges, de toutes catégories sociales, de toutes origines y ont attaché suffisamment d’importance pour lui consacrer parfois bien plus qu’un moment : acheter des ouvrages et de la presse, visiter des expositions variées et nombreuses, assister et participer à des reconstitutions, etc.

C’est sans doute cette mobilisation qui a confirmé au président de la République la nécessité d’intervenir. Il a ainsi présidé deux cérémonies, le 5 mai dernier, l’une sous la Coupole, l’autre aux Invalides, avec à la clef un discours rassembleur, débutant par la légende noire et finissant sur un jugement positif sur le règne napoléonien.

Certains pourtant s’étaient donné bien du mal pour gâcher ce bicentenaire, exigeant souvent que rien ne fût commémoré. On proposa de sortir la dépouille de Napoléon des Invalides et de débaptiser les quelques rues à son nom. On veut certes le déboulonner à Rouen, mais la ville de Montauban, elle, a érigé une nouvelle statue en souvenir du fondateur de l’Etat moderne… et du département du Tarn-et-Garonne en 1808.

Ainsi, comme chacun s’y attendait, ce bicentenaire a été marqué par les polémiques anachroniques et les « accusations » habituelles visant le gouvernement napoléonien, avec en tête le rétablissement de l’esclavage en 1802 et le statut de l’épouse du Code Civil de 1804, assaisonné d’idées reçues sur le bilan des guerres ou la « tyrannie » du régime, jusqu’à l’absurde accusation « d’antisémitisme » lancée par une députée LFI, immédiatement contrée par le Grand Rabbin de France.

Sur toutes ces questions, pour combler le vide sidérant de réactions officielles, les historiens ont accepté de sortir de leur zone de confort pour « aller au charbon », non pour défendre Napoléon, mais pour expliquer (qui n’est pas justifier ou excuser, faut-il une fois de plus le préciser ?) et contextualiser ces questions qui ne sont pas historiquement mineures et méritent toute notre attention. Pour une fois aussi, ils n’ont pas éludé – au nom de la (prétendue) neutralité de leur métier – les enjeux contemporains de ces critiques. Car, nul ne doute que leur sujet de prédilection n’était évidemment pas l’enjeu réel de ces vrais et faux débats. Derrière un personnage essentiel de notre histoire devenu depuis deux siècles « une part de nous » (E. Macron), c’était, encore et toujours, l’identité nationale, l’autorité de l’Etat, la verticalité, l’égalité par la loi, la méritocratie (sans manipulations) qui étaient ciblés, sur fond de « cancel culture », de racialisme, d’hyper-féminisme et autres nouveaux totalitarismes.

N’ayons pas peur de dire que, sur tous ces terrains et grâce à une tranquille mobilisation, la raison l’a exceptionnellement emporté. Le « morceau » était trop gros pour des contempteurs convaincus qu’une fois encore l’habileté de leurs slogans et la lâcheté générale de la superstructure compenseraient la vacuité de leur argumentation et leur paresse à préparer leurs dossiers. Mais ne doutons pas non plus que cette bataille gagnée devra être rejouée sur d’autres fronts, ce que le soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie va nous prouver dès les prochains mois. Le combat pour le sens de l’histoire continue.

Thierry Lentz
Décembre 2021

Thierry Lentz, historien, est directeur de la Fondation Napoléon.

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