Une chronique de Thierry Lentz : Vaccination : Napoléon déclare la guerre à la variole

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Alors qu’approche le moment où nous pourrons nous faire enfin vacciner contre la Covid-19, certaines voix s’élèvent pour prôner le refus de ce geste qui n’est pas un acte de volonté individuelle mais une nécessité de santé publique. Les moins jeunes d’entre nous, ceux qui, par exemple, ont connu les files dans les écoles pour recevoir un vaccin (ne souriez pas, cela existait encore il y a 40 ans), n’en reviennent pas. Nous avons grandi dans la hantise de la polio (plus un seul cas en France depuis 1995, grâce à la vaccination), du tétanos, de la rougeole, de la diphtérie (moins 99,5 % de cas pour ces trois-là par rapport au début des années 60) et de la variole (aujourd’hui éradiquée). Nombre d’entre nous se font tous les ans vacciner contre la grippe saisonnière… Mais les « anti-vax » ne veulent pas entendre parler de ces avancées et réussites. Ils mettent en cause « Big Pharma », comme si les États eux-mêmes ou les ONG pouvaient et savaient produire des vaccins. Ils redoutent aussi « Big Brother », puisque Bill Gates est pro-vax et –ne riez pas- serait bien capable de mettre des puces dans ces vaccins.

Une chronique de Thierry Lentz : Vaccination : Napoléon déclare la guerre à la variole
Thierry Lentz © Éditions Perrin / Bruno Klein 2020

Beaucoup de nos lecteurs posent parfois la question : qu’aurait fait Napoléon ? On ne le saura évidemment jamais. On dispose cependant d’un exemple concret : son attitude face à un fléau incroyable de son temps : la petite vérole, autrement dit la variole.

Cette maladie faisait alors environ 400 000 morts chaque année en Europe. Elle était mortelle pour 90 % des enfants de moins de 10 ans infectés. Une méthode de vaccination, en inoculant du pus prélevé sur le pis des vaches puis « de bras à bras » à partir de pustules humaines, avait été mise au point en Angleterre, dans les années 1770, et perfectionnée avec succès 25 ans plus tard par Edward Jenner. On pense que Napoléon fut informé de l’expérience par le docteur Guillotin, militant de la cause vaccinale, et grand médecin, quand bien même on lui attribue (à tort) « l’invention » d’une fameuse (et efficace) machine à décapiter. Napoléon ne cessa dès lors d’encourager les initiatives publiques et privées.

Le 11 mai 1800, pour donner suite à un rapport présenté à l’Institut par le docteur Jean-Noël Hallé et sur l’insistance du duc de La Rochefoucaud-Liancourt, qui rentrait d’émigration outre-Manche, celui qui était alors Premier Consul favorisa la création d’un « Comité central de la vaccine », destiné à inviter la population à se protéger contre le fléau, sans que la vaccination soit rendue obligatoire (elle ne le sera vraiment qu’en 1902). Début 1801, un arrêté préfectoral créa à Paris un « Hospice central de vaccination gratuite », présidé par Mme Dubois, épouse du préfet de Police. Le docteur Henri-Marie Husson, plus tard médecin-vaccinateur des Enfants de France, y vaccinait gratuitement, tous les mardis et vendredis après-midi. L’institution passa bientôt la tutelle d’une « Société pour l’extinction de la petite vérole par la propagation de la vaccine », fondée par un arrêté du 4 avril 1804. Cette société à vocation nationale, mais sans financement direct de l’État avant 1809, était présidée par le ministre de l’Intérieur en personne et administrée par d’importantes personnalités, comme les scientifiques (et sénateurs) Berthollet et Laplace, le grand-maître de l’Université impériale Fontanes, le grand-chancelier de la Légion d’Honneur Lacépède et des médecins réputés comme Corvisart, Guillotin, Pinel, Hallé, Coste et Leroux. Le secrétariat général en fut confié à Husson et une commission de quinze spécialistes fut chargée d’organiser la fabrication des vaccins dans tout l’Empire.

Vingt-cinq dépôts furent créés afin que chaque grande ville soit en mesure de fournir les vaccins aux médecins qui en faisaient la demande. À l’instigation du chirurgien de la Garde, Larrey, du médecin-chef des armées, Coste, et de l’inspecteur général du service de santé, le célèbre Parmentier, des expériences de vaccination collective furent tentées aux armées mais eurent peu de succès : seulement 6 000 hommes vaccinés au camp de Boulogne (sur un peu plus de 100 000 soldats) et un peu plus de 3 000 en 1807.

L’empereur suivait avec attention ces initiatives et les encouragea. Après la décision de financer sur fonds publics la Société pour l’extinction de la petite vérole, vinrent l’obligation pour les journaux de faire valider leurs textes sur le sujet par l’Académie de médecine, des instructions aux préfets de développer la vaccine et la formation de médecins-vaccinateurs dans leur département, la gratuité de la vaccination pour les enfants d’indigents.

Napoléon donna enfin l’exemple suprême en faisant vacciner le roi de Rome, le 11 mai 1811, comme Louis XVI avait fait vacciner le Dauphin vingt-cinq ans plus tôt. La nouvelle, dûment relayée, fut un coup décisif. On suggérera donc à Olivier Véran et à son inséparable Jérôme Salomon de faire de même, en direct sur BFM, le jour venu.

On estime qu’à la fin de l’Empire, un enfant sur deux était vacciné. A partir de 1812, les textes réglementaires imposèrent d’ailleurs la vaccination dans les établissements publics, dans les écoles, dans les collèges et dans les armées, politique qui entraîna un net recul de la variole, sans que les épisodes aigus mais localisés disparaissent totalement. On ne vit plus en tout cas d’épidémies aussi dévastatrices que celles de 1719-1723 ou 1796 qui avaient provoqué respectivement 35 000 et 14 000 décès, rien qu’à Paris.

Alors qu’elle causait 5,4 % des décès au XVIIIe siècle, 4,8 % pendant la Révolution, la petite vérole n’en représentait plus que 1,8 % à la fin de l’Empire. Le nombre de cas avait reculé de 75 % depuis 1789. Ce fut le plus grand succès de la politique de « santé publique », terme anachronique mais facile à comprendre, du gouvernement napoléonien. Une fois écartés les risques de la vaccination « bras à bras », on put passer pour de bon à la vaccination de masse, en France et dans le monde. Elle fut générale en 1958 (c’est à ce moment que nous avons fait la queue en maillot de corps pour la recevoir). L’éradication a été proclamée par l’OMS en 1980.

Thierry Lentz, est historien et directeur de la Fondation Napoléon
Décembre 2020

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