Une chronique de Vincent Campredon : le canot de l’Empereur rejoint son port d’attache à Brest

Auteur(s) : CAMPREDON Vincent
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Le musée national de la Marine, installé depuis 1943 au Palais de Chaillot, possède l’une des plus belles et des plus anciennes collections au monde qui retrace 300 ans d’histoire maritime française. Constitué en réseau, le musée est présent sur cinq sites : Paris, Brest, Port-Louis, Rochefort et Toulon. Cette connexion permet d’entretenir des liens forts avec les cultures maritimes locales et de promouvoir une politique active d’expositions.

Le 31 mars 2017, le musée a fermé ses portes à Paris pour d’importants travaux de rénovation. L’ambition est de réinventer le musée de la Marine pour le transformer en grand musée maritime français du XXIe siècle. Ce projet considérable a notamment pour objectif de rendre le grand public plus familier avec la dimension maritime de la France. Il s’agit de lui transmettre le goût de la mer et la conscience des enjeux et des défis qui la traversent dans toutes ses dimensions : historique, géographique, économique, environnementale, scientifique et culturelle. Le futur musée invitera au voyage à travers des espaces repensés et une nouvelle valorisation du patrimoine.

Parmi les 890 œuvres qui étaient présentées dans le musée à Paris, le Canot de l’Empereur occupe une place à part. C’est le seul canot d’apparat conservé dans un musée en France. Et il impressionne par ses dimensions et son histoire. En octobre 2018, le Canot retrouve la ville de Brest, 75 ans après son transfert vers Paris.

Une chronique de Vincent Campredon : le canot de l’Empereur rejoint son port d’attache à Brest
Vincent Campredon directeur du Musée national de la Marine © MNM

Aux Ateliers des Capucins, le Canot symbolisera avec subtilité le lien extrêmement fort qui existe entre la ville, récemment labellisée Ville d’art et d’histoire, et le site brestois du musée de la Marine. Le musée renforce ainsi sa présence dans cette ville, dans un lieu emblématique de l’histoire maritime. Deuxième musée le plus fréquenté du Finistère, le musée de la Marine à Brest a reçu près de 75 000 visiteurs en 2017 et collabore étroitement avec les acteurs locaux et de la métropole de Brest, établissements scolaires… Le musée et le lycée Dupuy de Lôme ont notamment été lauréats du prix de l’audace artistique et culturelle à l’été 2018.

Protégé et entreposé sur une zone transitoire dans les Ateliers des Capucins à Brest, le Canot va bénéficier d’une restauration avant sa mise en place définitive sur la place des Machines face à l’entrée du futur Pôle des Excellences Maritimes dont l’ouverture est prévue fin 2019. La vocation de ce Pôle est de valoriser tous les savoir-faire maritimes brestois dans les domaines industriels, écologiques, océanologiques, etc., dans un espace dédié de 1 000 m2 sur trois niveaux.

Le Canot de l’Empereur sera visible de toutes les personnes déambulant sur la place des Machines, espace libre d’accès où il sera exposé en majesté et à bonne hauteur d’observation. En partie basse, des dispositifs muséographiques dynamiques permettront aux visiteurs de mieux comprendre les origines et l’histoire du Canot. Des miroirs reflétant la coque parachèveront cette mise en situation.

Brest 2019 © BLP Architectes WH architecture Leconte Noirot

 

Retour sur l’histoire du Canot de l’Empereur : sa construction a été décidée dans le plus grand secret au printemps 1810, lorsque l’Empereur Napoléon Ier proposa de se rendre à Anvers pour visiter l’arsenal, dont il avait ordonné la création quelques années plus tôt. L’ingénieur Guillemard fournit les plans du Canot, tandis que le maître Théau, originaire de Granville, en supervise la construction. Les éléments décoratifs sont confiés au sculpteur anversois Van Petersen. En 21 jours seulement l’embarcation est prête. Elle mesure plus de 18 mètres de long : le tiers arrière est dominé par un rouf spacieux destiné à accueillir les personnalités, tandis que les rameurs occupent tout le reste de l’espace. Son décor est alors assez sommaire. Le 30 avril 1810, le Canot d’apparat fait une entrée remarquée dans Anvers : Napoléon et la jeune impératrice Marie-Louise sont à bord, accompagnés du maréchal Berthier, du ministre de la Marine Decrès et de l’amiral Missiessy, commandant l’escadre de l’Escaut ; un véritable cortège naval les entoure. Pendant plusieurs jours le Canot assure les déplacements de l’Empereur qui visite le vaisseau amiral Le Charlemagne, assiste au lancement spectaculaire du Friedland et inspecte l’ensemble de la flotte.

En 1814, à la chute de l’Empire, le Canot trouve refuge au port militaire de Brest. Son ornementation est complétée mais reste sobre, avec un aigle à la proue. Puis il subit de nouvelles modifications dans sa décoration avant la visite à Brest de Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie en 1858. C’est de cette époque que datent les éléments sculptés actuels, notamment la figure de proue représentant Neptune, le groupe arrière avec les armes impériales et, surmontant le rouf, une grande couronne soutenue par quatre angelots. Même les rames sont ornées de somptueux motifs peints.

Destiné à l’oubli, le Canot de l’Empereur aurait pu finir sous les bombes qui anéantirent Brest à la fin du deuxième conflit mondial. Le miracle veut que le musée de la Marine soit alors en cours de constitution au Palais de Chaillot. L’espace n’y est pas compté : l’embarcation impériale peut en être le fleuron. Sous la protection des autorités allemandes, le Canot quitte Brest le 9 mai 1943. Le voyage en train dure huit jours : de la gare de Brest à la gare Montparnasse les voies sont volontairement désertées, car ce convoi exceptionnel ne peut croiser d’autres trains. La traversée de Paris en camion est un vrai spectacle pour les badauds. Toute l’opération est contrôlée, mesurée, minutée, mais à Chaillot rien n’est prévu pour permettre au Canot d’entrer dans le musée : les portes sont trop étroites ! Plus de deux années de négociations vont être nécessaires pour trouver une solution. Enfin, en août 1945, une énorme brèche est pratiquée dans le mur du Palais de Chaillot et, tout doucement, le Canot impérial entre dans le sépulcre, après avoir été entreposé dans les jardins du Trocadéro.

Entrée du canot de l’Empereur dans le musée, juillet 1945 © Musée national de la Marine / DR

La précédente restauration du Canot a été effectuée de 2001 à 2003 par les charpentiers de l’atelier militaire de Cherbourg (bers et structure interne de la coque) et par un groupement de restaurateurs (sculptures, polychromie et dorure), avec le soutien de la Fondation Napoléon.

Vincent Campredon, octobre 2018

Le commissaire général Vincent Campredon est directeur du musée national de la Marine.

De Paris à Brest, le canot de l’Empereur rejoint son port d’attache : lire le dossier de presse du Musée national de la Marine.

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