Une chronique de Walter Bruyère-Ostells – Les nouvelles approches en histoire militaire : état des lieux

Auteur(s) : BRUYÈRE-OSTELLS Walter
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Les 1er et 2 février 2023, le Service historique de la Défense a organisé à Paris les États généraux de l’histoire militaire. Ce fut l’occasion de présenter en détail les renouvellements intervenus dans ce champ d’études depuis quelques décennies.

Une chronique de Walter Bruyère-Ostells – Les nouvelles approches en histoire militaire : état des lieux
Walter Bruyère-Ostells, historien © DR

Lors de nos échanges, il est apparu nettement que l’étude des civils dans la guerre (formes de mobilisation, victimes de guerre, …) a pris une importance qu’elle n’avait pas auparavant. À cette première tendance s’en est ajoutée une autre qui s’intéresse au phénomène guerrier proprement dit afin d’éclaire la violence que subissent les corps et les esprits. Les travaux de Stéphane Audoin-Rouzeau font ainsi dialoguer la violence lors de la Première guerre mondiale et celle du génocide rwandais. Cette approche vise à restituer une histoire des sensibilités et des émotions chez les acteurs (la haine comme moteur de violence, la peur, les représentations de la virilité, …).

Le moderniste Hervé Drévillon, le médiéviste Xavier Hélary et l’antiquisant Laurent Capdetrey ont quant à eux souligné l’importance des études à l’échelle des campagnes militaires permettant de mieux appréhender l’importance de ce qui entoure le combat lui-même : l’impact des contraintes techniques et de mobilité sur le déroulement des campagnes (de sièges ou faites de batailles par exemple), le poids des maladies dans la mortalité en guerre, etc. Dans le même temps tandis que l’histoire purement conceptuelle a indéniablement fait progresser nos connaissances (prenons le seul exemple du concept de « brutalisation » pour la première guerre mondiale), de nombreuses études se placent désormais au plus près des hommes et des pratiques. Les acteurs de second plan ou inconnus (« histoire par le bas ») sont également au cœur des travaux actuels. Benjamin Deruelle (histoire moderne) ou le LCL Jérôme de Lespinois insistent davantage sur la montée en puissance des études sur la logistique ou l’armement. Dans cette optique, l’étude des ressources en pétrole permet par exemple de relire les choix stratégiques des différentes armées pendant la seconde guerre mondiale.

Par ailleurs, ces journées ont permis de constater que bien des approches ou les objets dont s’emparent les historiens sont très comparables quelle que soit la période retenue, que ce qu’on pouvait imaginer. Valérie Toureille pour le Moyen-Age comme Raphaëlle Branche pour l’histoire contemporaine rappellent par exemple que les approches anthropologiques des recherches de ces trente dernières années ont particulièrement approfondi la connaissance de certaines situations (moments de la capture, de la captivité, soins aux combattants, …).

En réalité, notamment dans le cadre d’une recherche aujourd’hui complètement mondialisée, des aspects nouveaux deviennent des champs de recherche à part entière. C’est le cas des études sur le renseignement depuis près de 20 ans maintenant en France (O. Forcade, S-Y Laurent) ou des Gender Studies appliquées à la guerre. Autre exemple, la dynamique des Colonial et Postcolonial Studies a suscité en France de nouveaux travaux sur les troupes coloniales (leur poids par exemple dans les forces armées de la France Libre et de la Libération en 1944-1945).

L’un des autres enjeux auxquels doivent répondre les travaux à venir repose sur le travail pluridisciplinaire, plus faible en France que dans le monde anglo-saxon notamment (War Studies). Néanmoins, les progrès dans ce domaine sont réels. L’histoire de la pensée stratégique a ainsi évolué en croisant ses approches avec la science politique, c’est le cas du travail sur la ruse de Jean-Vincent Holeindre. Les économistes comme Jean Belin ont pour leur part essayé de développer des thématiques budgétaires pour mieux comprendre les évolutions des armées aux XXe-XXIe siècles. Là où les historiens des sensibilités s’inspiraient par la lecture des recherches en anthropologie à partir des années 1990, aujourd’hui c’est un travail avec ces mêmes anthropologues et avec les sciences forensiques (« archives du sol ») qui permettent de mieux comprendre les dynamiques de violence dans la guerre.

En conclusion nous pouvons dire que ces États généraux ont permis de mettre en lumière la grande dynamique des travaux sur la guerre et le foisonnement actuel des pistes suivies qui font désormais de l’histoire militaire une histoire plurielle comme pluridisciplinaire.

Walter Bruyère-Ostells
Avril 2023

Walter Bruyère-Ostells est historien, agrégé et professeur des universités à Sciences Po Aix où il est titulaire de la chaire d’Histoire militaire. Spécialiste des circulations combattantes, en particulier des combattants irréguliers, ses travaux portent notamment sur les enjeux anthropologiques des violences de guerre. Il est également directeur scientifique du Service Historique de la Défense (ShD).

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