Une chronique de Xavier Mauduit : « Sans un regard vers le passé, l’actualité perd tout son sens »

Auteur(s) : MAUDUIT Xavier
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Chaque soir dans l’émission 28’, diffusée sur Arte, l’historien Xavier Mauduit met en perspective l’actualité avec sa chronique « Quelle histoire ! ». Et y convoque régulièrement Napoléon, qui « appartient à la mémoire commune, et pas seulement nationale ».

Une chronique de Xavier Mauduit : « Sans un regard vers le passé, l’actualité perd tout son sens »
Xavier Mauduit © Fondation Napoléon / Rebecca Young

Tous les jours dans l’émission 28’ sur Arte, la chronique « Quelle histoire ! » respecte un format assez simple : Élisabeth Quin évoque une actualité à laquelle je réagis en racontant ses origines lointaines, un événement similaire, ou le destin d’un personnage historique. Il s’agit parfois d’une anecdote dont il faut montrer la portée historique, parfois d’une histoire plus grave afin de mettre en perspective l’actualité. La chronique traverse les civilisations sur une chronologie très large, de la Mésopotamie à des temps proches de nous.

Avant de débuter cette aventure télévisée, Sandrine Beyne, sémillante productrice de l’émission, m’avait demandé si j’étais en mesure de trouver tous les jours une histoire en lien avec l’actualité. La question était pertinente ; pour me rassurer, j’ai pris l’habitude de proposer quatre ou cinq actualités avec autant d’histoires à raconter, laissant le choix final au rédacteur en chef. Nous étions alors à l’été 2015 ; voilà maintenant huit ans que l’aventure se poursuit et elle continue pour une neuvième saison. C’est donc par centaines que des histoires été racontées, plus encore ont été proposées, sans aucune lassitude et toujours un immense plaisir.

En 2015, certains annonçaient un peu vite la fin du bicentenaire de l’épisode napoléonien avec les commémorations de la bataille de Waterloo. C’était sans penser au bicentenaire de la mort de l’Empereur. Vint l’année 2021, marquée par son lot de belles expositions, de livres, de rencontres, de colloques, et de nombreux débats relayés par les médias. Cette fois, était-ce terminé de parler de Napoléon ? Pas encore, puisque 2023 est le bicentenaire de la publication du Mémorial de Sainte-Hélène. Désormais, faudra-t-il attendre 2069 pour parler de nouveau de Napoléon ? Évidemment, non.

L’histoire ne s’écrit pas au rythme des commémorations, mais au gré des nouvelles études, de la découverte de sources, et de l’évolution des interrogations et des intérêts du moment. Il faut le répéter sans cesse : sans histoire, il n’est pas possible de comprendre le présent et, sans un regard vers le passé, l’actualité perd tout son sens. Voilà pourquoi il n’est pas difficile de trouver des sujets pour les chroniques dans 28’. La démarche est la même pour l’émission Le Cours de l’histoire que j’ai l’honneur de produire tous les jours à 9 heures sur France Culture. La parole des historiennes et des historiens est la bienvenue pour réfléchir à l’actualité nationale et internationale et aux débats de société. Les sujets abondent car s’ajoutent les publications qui renouvellent l’historiographie, si nombreuses qu’il n’est pas possible, hélas, de toutes traiter dans une émission, même quotidienne.

Incontournable Napoléon

Dans ce va-et-vient entre le passé et le présent, Napoléon est incontournable puisque l’héritage de l’épisode impérial – du Premier mais aussi du Second Empire – marque profondément notre temps. Dans Le Cours de l’histoire, plusieurs émissions ont été consacrées directement à Napoléon avec Jean Tulard, Thierry Lentz, Jacques-Olivier Boudon, Pierre Branda, Arthur Chevallier, Patrice Gueniffey, Nathalie Pigault, David Chanteranne, Natalie Petiteau, Charles-Éloi Vial ou encore Bruno Fuligni. Sans compter les innombrables évocations de Napoléon dans d’autres émission car, pour reprendre les propos d’Aurélien Lignereux dans L’Empire des Français (Seuil, 2012), « écrire une histoire de la période napoléonienne en récusant absolument la focalisation sur Napoléon reviendrait à réitérer l’expérimentation littéraire d’un Georges Perec – livrer tout un roman privé de la lettre e ».

Dans l’émission 28’, Élisabeth Quin a pris l’habitude de gentiment me taquiner dès que je parle de Napoléon, « votre héros », dit-elle. Le sujet revient en effet assez souvent, en raison de la richesse de la littérature scientifique sur l’Empire, et parce que peu de personnages historiques sont aussi connus que Napoléon, qui appartient à la mémoire commune, et pas seulement nationale. Ainsi, quand le président de la République demande aux Français de pavoiser leur domicile après les attentats de 2015, il est possible de parler du pavoisement des villes de Normandie lors du passage de Napoléon en 1811 ; ou encore, quand le gouvernement dévoile son plan pour sécuriser la chasse et de créer un délit d’alcoolémie, il est pertinent d’évoquer un chasseur sobre, mais maladroit : Napoléon !

Nous n’en avons jamais fini de parler d’histoire, et c’est tant mieux, car elle est source de plaisir, celui de la découverte, celui de l’étonnement et de la réflexion. Les fruits de la recherche scientifique doivent être diffusés au plus grand nombre, avec un travail de médiation selon les publics et les médias, magazines, revues, télévision, radio, et désormais les incontournables réseaux sociaux. En cela, les commémorations demeurent essentielles car elles sont l’occasion de nouvelles recherches et de diffuser le savoir auprès d’un large public. Il n’est qu’à voir le travail remarquable de France Mémoire, le service des anniversaires et commémorations historiques de l’Institut de France. La répétition est la clef de la pédagogie, mais elle prend tout son sens quand il s’agit de s’adresser aux nouvelles générations, à celles et à ceux qui découvrent l’histoire.

Il est difficile pour beaucoup d’entre nous de dire précisément d’où nous vient le goût de l’histoire, qui s’est imposé comme une évidence, parfois très jeune. Pourtant, nombreux n’ont pas cette chance et c’est à nous de tendre la main afin de transmettre le goût de l’histoire. En ce sens, la démarche de la Fondation Napoléon est remarquable, avec le projet « Napoléon 2026 », en direction des élèves, des étudiants et d’un public plus large pour faire connaître l’histoire des deux Empire, et plus globalement celle du xixe siècle. Transmettre une histoire réfléchie et accessible, construite à partir des travaux les plus sérieux, sans chercher les polémiques et les pseudo-révélations sensationnelles est l’intérêt de tout le monde : des professeurs pour avoir des étudiants, des auteurs pour avoir des lecteurs, des animateurs d’émission pour avoir des auditeurs, mais c’est aussi l’intérêt de la société dans son ensemble, pour avoir des citoyennes et des citoyens éclairés.

Xavier Mauduit (septembre 2023)

À voir : Xavier Mauduit a participé à la création d’une série de vidéos sur le Second Empire destiné aux enseignants et leurs élèves, sur Napoleonica® la chaîne de la Fondation Napoléon sur YouTube.
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