Une chronique d’Élodie Lefort : Bon vent au cimetière des navires !

Auteur(s) : LEFORT Élodie
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Une chronique d’Élodie Lefort : Bon vent au cimetière des navires !
© Fondation Napoléon/Rebecca Young

Prolongeons la période estivale et évadons-nous jusqu’en Bretagne. Plus précisément à son extrémité, à la pointe Finistère, dans le village de Landévennec situé au début de la presqu’île de Crozon. Connu principalement pour son abbaye médiévale en ruines (XIe siècle), qui possédait l’un des plus riches scriptoria bretons lors de ses heures fastes (mais je digresse, revenons au XIXe siècle), ce village héberge un site hors du commun sur les rives de l’Aulne qui coule à ses pieds : un cimetière de navires de la marine nationale.

Dans les années 1840, la marine repère l’emplacement, car il réunit tous les avantages pour créer un site de réserve pour les bateaux. L’anse de Penforn de l’Aulne, face à l’île de Tréverez, est un méandre tranquille de la rivière qui débouche sur la rade de Brest. Pratique, il offre la possibilité aux bâtiments de prendre rapidement la mer. Il est également situé sur le nouveau canal qui relie Nantes à Brest, souhaité par Napoléon Ier et inauguré par Napoléon III. Le fond de l’Aulne y est constant de 10 mètres de profondeur et les hauteurs abritent les bâtiments des vents bretons. Le site est donc idéal pour amarrer des navires de la flotte de réserve. On parle également de station navale : le but est de stocker des navires, équipés pour le service, mais dont l’usage n’est pas justifié dans l’immédiat. Les équipages maintiennent leur entretien et se tiennent prêt à appareiller en cas de besoin.

En août 1858, Napoléon III et Eugénie entreprennent un voyage en Finistère. Brest est leur point de départ. Le 11 août, soit le lendemain de leur arrivée, ils remontent l’Aulne jusqu’à Landévennec pour y découvrir la station navale. Depuis le yacht Reine Hortense, ils admirent le paysage et les infrastructures mises en place. Napoléon III conforte les ingénieurs dans le choix de l’emplacement de la réserve. Pendant leur déplacement, l’Empereur et l’Impératrice ont pu voir le navire l’Inflexible, utilisé pendant la guerre de Crimée, ou encore le Duguesclin qui servait au transport des forçats vers la Guyane au début des années 1850. Le site de l’anse de Penforn demeure une réserve jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle offre au village de Landévennec une activité économique forte, grâce à la présence de marins en station.

Pendant l’Occupation, l’Armorique, ancien grand voilier qui servait de navire-école aux mousses, est réquisitionné par les Allemands. Le bateau, qui mouille dans le méandre de l’Aulne, est transformé en navire-atelier. Le vent tourne et, à l’été 1944, l’armée allemande, refusant sa défaite, saborde le navire et le coule. Les années 1950 apportent du changement à la station navale. Elle devient un cimetière à bateaux de la Marine nationale, mais pas que. De simples gabares vont côtoyer les plus grands bateaux. Ainsi le paquebot Pasteur, après avoir réalisé la ligne transatlantique dans les années 1930 et participé à la Guerre d’Indochine notamment, séjourne dans le cimetière pendant quelque temps. C’est également le cas du croiseur-école Jeanne d’Arc qui s’était illustré pendant la Seconde Guerre Mondiale lors du débarquement en Provence. Avant de mouiller à proximité du village de Landévennec, les bâtiments subissent des transformations. Ils sont d’abord désarmés et préparés : tous les éléments susceptibles d’être polluants sont retirés. Ils ne sont plus que des coques vides lorsqu’ils sont acheminés jusqu’à l’anse de Penforn. Généralement, les navires restent quelques années mouillés dans le cimetière avant d’être envoyés dans un chantier de démantèlement de l’Union européenne. Depuis 70 ans, plus d’une cinquantaine de bateaux y ont séjourné.

Aujourd’hui, lorsque l’on se balade sur les rives de l’Aulne aux abords de Landévennec, on peut toujours y admirer les ruines de l’abbaye Saint-Génolé bien sûr, mais on y découvre, encore un peu caché, le site magnifique du cimetière à bateaux. Depuis les hauteurs, on contemple quelques vieux seigneurs de la guerre de la Marine nationale : l’Albatros (2016) Patrouilleur austral, la Capricieuse (2018) Patrouilleur type P400, la Gracieuse (2018) Patrouilleur type P400, le Lieutenant de vaisseau Lavallée (2019) Aviso type A69, classe d’Estienne d’Orves, le Persée (2020) Chasseur de mines Tripartite, classe Éridan, le Verseau (2020) Chasseur de mines Tripartite, classe Éridan, l’Éridan (2020) Chasseur de mines Tripartite, classe Éridan et le Primauguet (2020) Frégate anti-sous-marine type F70, classe Georges Leygues. Ces bâtiments appartenant à la Marine nationale, il est bien sûr interdit de monter à leur bord. En revanche, il est possible de s’approcher de ces vieillards lors de promenades en paddle ou encore en bateau. La magie et le romantisme des lieux opèrent également depuis les rives. Régulièrement, des rumeurs circulent sur le démantèlement de ce cimetière si unique en France. Il faut croire que les traditions ont la vie dure en France, spécialement en Bretagne. Ce patrimoine, riche aux yeux des habitants de Landévennec, nous promet encore d’abriter de véritables guerriers de notre histoire. Alors, comme on dit dans la Marine, bon vent au cimetière des navires !

Élodie Lefort, septembre 2021

Élodie Lefort est responsable des collections de la Fondation Napoléon.

Titre de revue :
inédit
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