Une chronique d’Emmanuelle Duprez : le dernier tableau

Auteur(s) : DUPREZ Emmanuelle
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Au début du mois de mai on a vu fleurir un peu partout sur les colonnes Morris parisiennes l’affiche pour l’exposition au Petit Palais d’un peintre italien que je ne connaissais pas : Giovanni Boldini, Les plaisirs et les jours. Intriguée je me suis décidée à y aller. Je découvre donc ce peintre, ami avec le Tout Paris de la Belle Époque, sa vie, son style. Ce dernier d’ailleurs est très marqué selon plusieurs périodes et l’on voit, tout au long de l’exposition, son coup de pinceau et ses sujets changer, évoluer d’une manière très perceptible.

Une chronique d’Emmanuelle Duprez : le dernier tableau
Emmanuelle Duprez © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Les dernières salles sont consacrées plus particulièrement aux portraits. On y trouve ceux de personnes de la société mondaine et culturelle du début du XXème siècle. Il y a le comte Robert de Montesquiou qui inspira à Marcel Proust le personnage du baron de Charlus dans son œuvre monumentale À la recherche du temps perdu ou encore celui d’Henry Gauthier-Villars dit « Willy » qui s’attribua les premiers ouvrages de sa femme, Colette. Mais il y a surtout des portraits de femmes, en pieds majoritairement, représentées dans des robes du début du XXème siècle, toutes plus belles les unes que les autres, extravagantes et chatoyantes pour la plupart. Quelques robes d’époques sont également exposées dans la dernière salle, une galerie très haute de plafond, c’est un vrai plaisir pour les yeux.

Et puis, là, juste avant la sortie, un dernier tableau.

Une femme toujours, une tenue extraordinaire encore, mais il y a quelque chose de différent dans sa représentation par rapport aux précédentes. Le contraste avec les autres tableaux est assez saisissant : les couleurs, sans être ternes sont plus neutres, cette femme pose mais, à l’inverse des autres, elle ne regarde pas le peintre et malgré cela on peut déceler comme une sorte de mélancolie dans son regard. Il y a presque un côté maniériste dans sa représentation avec la torsion de son buste et ses longs bras nus. Une innocence et une grâce se dégagent du tableau. Je ne saurais dire pourquoi mais je tombe complètement sous le charme.

Marthe Bibesco par Giovanni Boldini. Source : Wikipedia
Marthe Bibesco par Giovanni Boldini. Source : Wikipedia

Il y a un banc en face du tableau et je m’y assieds pour me plonger dans l’œuvre. Le temps passe, les visiteurs aussi et je reviens petit à petit à la réalité.

Je m’approche enfin du cartel pour découvrir qui est représenté et retiens le nom de la femme qui y est indiqué : il s’agit de la princesse Marthe-Lucile Bibesco. Ce nom ne me parlant pas, ma curiosité me pousse à faire quelques recherches sur cette princesse dont le portrait m’a intrigué.

Je découvre alors une vraie personnalité, une vie moderne pour une femme de son époque et même trépidante à certains égards. Son histoire est digne d’un roman !

Marthe-Lucile Bibesco, née Lahovary à Bucarest en 1886 appartient à la noblesse roumaine. Femme de lettres mondaine et fortunée faisant partie de l’élite intellectuelle de la haute société, elle a connu de nombreuses personnalités des sphères politiques, culturelles, aristocratiques Européennes (de Proust à de Gaulle en passant par le Tsar Nicolas II et même Hermann Goering). Elle rencontre aussi par exemple un de ses amants en fréquentant les salons de la princesse Murat (tiens ! Ce nom résonne, plus qu’il ne l’aurait fait il y a quelques mois). Parcourant le monde, elle empruntait notamment régulièrement le mythique train qu’est l’Orient-Express et elle est l’une des premières femmes à avoir traversé l’Atlantique en avion. C’est d’ailleurs par un voyage que sa carrière d’écrivain débute. Inspirée par son voyage en voiture de 1905 avec son mari qui est en mission auprès du Shah d’Iran (encore la Perse à cette époque), elle publie en 1908 son premier ouvrage Les Huit Paradis : Perse, Asie Mineure, Constantinople qui lui fait décrocher le prix de l’Académie française !

Lorsque la première guerre mondiale éclate, elle est déchirée puisqu’elle fait partie des deux mondes qui s’affrontent. Elle décide néanmoins de s’engager comme infirmière à l’hôpital de Bucarest auprès des alliés. Par la suite elle continue à voyager et à écrire, parfois sous le pseudonyme de Lucile Decaux et son roman, Le perroquet vert, paru en 1924 vient d’ailleurs de s’ajouter à la longue liste des ouvrages que je souhaite lire et que je me constitue au fil du temps. Résidant à Paris pendant la seconde guerre mondiale, elle se retrouve spoliée de ses biens en Roumanie par le régime Soviétique qui se met en place. Elue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique le 8 janvier 1955, (en même temps que Jean Cocteau) elle lutte, en parallèle de sa vie d’écrivain, pour faire libérer sa fille et son gendre détenus dans un camp en Roumanie en tant qu’aristocrates et c’est en 1958 qu’elle parvient à les faire revenir et les installer en Angleterre. Marthe décède à Paris le 28 novembre 1973, à l’âge de 87 ans, et, à l’instar d’autres femmes remarquables telles Coco Chanel, Agatha Christie ou encore Alexandra David-Néel, elle aura traversé presque tout le XXème siècle. Elle meurt sans avoir jamais revu la Roumanie.

On pourrait croire que cette extraordinaire vie ne pouvait être plus étonnante. Ma surprise est pourtant grande lorsque je lis, au détour d’un article – un fait d’ailleurs totalement anecdotique par rapport à sa vie – mais que cette femme était férue d’Histoire et tout particulièrement de l’époque napoléonienne ! Elle y a même consacré quelques ouvrages : Une fille inconnue de Napoléon, Le Tendre Amour de Napoléon : Marie Walewska, Charlotte et Maximilien : les Amants chimériques, Loulou, prince impérial.

Pourquoi ai-je été attirée par ce tableau plus que par un autre ? Je ne le sais pas très bien. La délicatesse des traits de cette jeune femme, une sorte de pudeur bien qu’elle soit sous les yeux du peintre d’abord, puis des nôtres en ressort. Ce sont plusieurs effets conjugués qui parlent à ma sensibilité.

Il reste encore un bon mois pour aller flâner dans les salles du Petit Palais consacrées à ce peintre et je vous y invite si vous en avez l’occasion.

Emmanuelle Duprez
Juin 2022

Emmanuelle Duprez assure l’accueil des visiteurs à la Fondation Napoléon et la gestion de l’Espace Baron Gourgaud.

Exposition au Petit Palais jusqu’au 27.07.22 par Giovanni Boldini

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