Une chronique d’Éric Anceau et Jean-Luc Bordron : l’originalité fiscale des deux Napoléon

Auteur(s) : ANCEAU Eric, BORDRON Jean-Luc
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Depuis que les États structurent la vie des sociétés, il y a plus de cinq mille ans, des impôts existent. Avec la Grande-Bretagne qui inventa en 1798 l’impôt sur le Revenu ou celui sur les portes et fenêtres, La France a été l’un des pays les plus inventifs et prolifiques en la matière sous l’Ancien Régime comme sous la Révolution. La contribution des deux Empires français a cependant été originale dans plusieurs domaines, à commencer par celui de la juste répartition de l’impôt.

Une chronique d’Éric Anceau et Jean-Luc Bordron : l’originalité fiscale des deux Napoléon
© Passés/Composés 2023

Ainsi, parmi son œuvre immense, Napoléon a-t-il doté pour la première fois la France d’un cadastre, en septembre 1807, même s’il faut ensuite quatre décennies pour l’achever. Il permet d’inventorier chaque parcelle du territoire, de lui attribuer une valeur fiscale et de lui rattacher un propriétaire. Comme le souligne le régime, « un propriétaire peut [désormais] se livrer aux améliorations et augmenter son revenu sans craindre d’augmenter sa contribution ». Cet acquis qui nous parait aujourd’hui naturel relève du principe d’égalité voulue par la Révolution mais jamais vraiment mis en œuvre. Tout comme pour ses différents Codes, le premier empereur a su traduire en actes un principe clef afin de rendre plus juste l’impôt foncier qui jusqu’alors était particulièrement inégalitaire. On lui doit aussi une meilleure organisation de la fiscalité indirecte, celle qui touche en principe le consommateur, avec la réintroduction des droits sur le sel, le tabac et l’alcool. Cette forme d’imposition considérée comme « insensible » ne cesse depuis de s’étendre, de la TVA à la taxe sur les produits pétroliers en attendant peut-être demain d’autres impositions liées à nos nouveaux modes de consommation.

Quant à Napoléon III, il a très tôt perçu l’importance de l’impôt et lui a consacré des pages importantes dans ses écrits de jeunesse. Dans Extinction du paupérisme, en 1844, il insiste ainsi sur le fait qu’il peut conduire au meilleur ou au pire selon la façon dont il est levé : « Le prélèvement de l’impôt peut se comparer à l’action du soleil qui absorbe les vapeurs de la terre, pour les répartir ensuite, à l’état de pluie, sur tous les lieux qui ont besoin d’eau pour être fécondés et pour produire (…). C’est presque toujours, au bout de l’année, la même quantité d’eau qui a été prise et rendue. La répartition seule fait donc la différence. Équitable et régulière, elle crée l’abondance ; prodigue et partielle, elle amène la disette. ».
Une fois parvenu au pouvoir, il met un grand soin à ne pas trop augmenter la pression fiscale. Il est l’un des premiers chefs d’État à recourir massivement à l’emprunt national en profitant de la prospérité économique du pays, pour se procurer de l’argent sans pressurer le peuple. Sont ainsi financés la guerre d’Orient de 1854 à 1856, la guerre d’Italie en 1859 et les grands travaux parisiens de son préfet Haussmann. Dans l’ensemble, les deux Empereurs sont parvenus à financer leurs guerres sans creuser de déficit même si pour Napoléon 1er les tributs payés par les pays vaincus furent importants.

Éric Anceau et Jean-Luc Bordron
Janvier 2023

Éric Anceau (Source : Twitter.com)Éric Anceau enseigne à Sorbonne Université l’histoire du XIXe s.
Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages de référence sur la période du Second Empire. Ses recherches ont été saluées par le Prix Drouyn de Lhuys de l’Académie des sciences morales et politiques, le Prix Guizot de l’Académie française, le Grand Prix du Mémorial de la ville d’Ajaccio et le Prix Second Empire de la Fondation Napoléon
. Depuis 2020, il est membre du jury des Prix et Bourses de la Fondation Napoléon et membre du comité scientifique de la revue scientifique de la Fondation Napoléon : Napoleonica® la revue.

Jean-Luc BordronJean-Luc Bordron est inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) honoraire en anglais. Il a publié une quinzaine d’ouvrages sur la civilisation anglo-saxonne, le cinéma, la langue anglaise et les expressions idiomatiques.

 

Récemment les deux auteurs de cette chronique ont publié une Histoire mondiale des impôts. De l’Antiquité à nos jours, aux éditions Passés/Composés (janvier 2023).

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