Une chronique d’Isabelle Souquet : « La fosse commune renfermant les victimes de la bataille d’Orthez (27 février 1814) livre ses premiers résultats ! »

Auteur(s) : SOUQUET Isabelle
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Sur les hauteurs de la ville d’Orthez au matin du 27 février 1814 débutent des combats opposant l’Armée des Pyrénées commandée par le Maréchal Jean-de-Dieu Soult aux armées coalisées britanniques, espagnoles et portugaises menées par le duc de Wellington. Ce dernier prend l’offensive afin d’empêcher les Français de s’appuyer sur la place forte de Bayonne en attaquant par l’est aux environs d’Orthez. Au cours de l’affrontement, les morts se comptent par milliers des deux côtés. Le lieutenant Woodberry écrit « la route est jonchée de cadavres, il y en avait, je crois plus qu’à Vitoria, et pour le temps que dura la bataille, elle fut une des plus meurtrières ». Pour ramasser tous les cadavres, Lord Robert Kennedy, commissaire général des alliés chargé de gouverner la ville au soir de la bataille, fut obligé de faire appel à la population civile.

Une chronique d’Isabelle Souquet : « La fosse commune renfermant les victimes de la bataille d’Orthez (27 février 1814) livre ses premiers résultats ! »

Deux siècles plus tard, en 2017, au cours d’une fouille archéologique à proximité de l’hôpital actuel d’Orthez, une grande fosse commune de 11 m2 fut découverte par une équipe de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Cette fosse contenait 26 individus déposés simultanément et rapidement dans des positions très variées. Les boutons d’uniforme portant les numéros de régiments d’infanterie de ligne du Premier Empire d’une part, de la British Army d’autre part, ainsi que les munitions découvertes au plus près des squelettes ont permis d’identifier des soldats des deux armées opposées qui se sont affrontées au cours d’une des dernières batailles du Sud-Ouest. Lieu d’inhumation oublié, il permet d’éclairer la réalité de cette bataille et de confronter toutes les données obtenues aux récits et documents historiques. Une équipe interdisciplinaire, internationale et interinstitutionnelle a été mise en place afin d’exploiter les différents champs de recherche qu’ouvre ce gisement militaire.

Le recrutement de la fosse est composé exclusivement d’hommes dont un peu plus de la moitié sont âgés entre 20 et 29 ans. Deux sont des adolescents âgés entre 15 et 19 ans ; neuf sont des soldats de plus de 30 ans. Les traumatismes observés sur 16 soldats sont dus à des balles, des boulets ou des armes blanches. Les os des membres inférieurs sont brisés, engendrant une incapacité à se déplacer et probablement une mort rapide. Aucun acte chirurgical n’est identifié alors que les mêmes blessures décrites par Larrey, chirurgien de la Grande Armée, ont le plus souvent fait l’objet d’une amputation dans le but de sauver la vie des soldats. Nous sommes donc en présence de soldats blessés sur le champ de bataille qui n’ont pu être pris en charge suffisamment à temps. Les traumatismes témoignent des effets directs de l’infanterie et de l’artillerie. La découverte de cette fosse est un cas unique en France et vient s’ajouter aux autres charniers relatifs aux guerres napoléoniennes sur le territoire européen (Wagram, Leipzig…).

Les corps n’ont pas été entièrement dépouillés de leurs effets : les nombreux boutons encore en place sur les squelettes l’attestent. Quelques effets personnels ont également été retrouvés (une médaille pieuse, une pipe ou un canif). Deux monnaies en or dites « gros louis » ont été découvertes au niveau des reins d’un soldat, probablement cachées dans une ceinture. La présence de ces objets associée aux positions désordonnées des corps témoigne de la rapidité avec laquelle les soldats ont été inhumés. La « fosse commune », qui devient ainsi leur sépulture, est un compromis entre le respect dû aux défunts et les mesures d’hygiène pour éviter toute propagation d’épidémies. La fosse d’Orthez est un exemple de gestions de la mort en temps de guerre, mais seuls 26 soldats y sont inhumés alors que plusieurs milliers de morts ont été dénombrés lors de cette bataille. Dans les environs d’Orthez, deux autres lieux d’inhumation sont connus et marqués par une plaque ; il est très probable que d’autres fosses soient présentes sur toute la surface du champ de bataille.

L’identification de chaque soldat a été entreprise en confrontant les données archéologiques (mobilier porté par les défunts), historiques (registres des régiments), anthropologiques (données biologiques) et bioarchéologiques (paléogénomiques, biochimiques et parasitologiques). Les boutons d’uniforme découverts au contact de certains squelettes ont permis de cibler huit régiments d’Infanterie de Ligne français et au moins trois régiments de la Royal British Artillery et de pratiquer une analyse archivistique des registres des différents régiments impliqués. Au final, 56 soldats français (dont deux officiers) sont répertoriés comme « morts le 27 février 1814 » ou « morts à Orthez » et 84 soldats britanniques (dont cinq officiers).

En parallèle, la comparaison des différentes données biomoléculaires et ostéologiques sur les squelettes autorise, de façon inédite, une identification plus précise, physique et sociale, de tous les soldats à partir de leurs origines géographiques (environnements dans lesquels ils ont grandi), leur description physique (stature, couleur des yeux, des cheveux…), leur alimentation et leur état de santé avant les combats. La reconnaissance de marqueurs ou maladies osseux et dentaires, la présence de parasites ou l’identification d’agents pathogènes renseignent sur la vie quotidienne du soldat dans ce petit échantillon. À terme, il sera peut-être possible de donner un nom à certains soldats inhumés à Orthez. L’identification potentielle d’un officier britannique est aujourd’hui examinée à partir de la combinaison de toutes les données obtenues.

L’étude de ce dépôt multiple va bien au-delà de la reconnaissance physique des individus. Les données acquises, prises dans leur ensemble, permettent ainsi de questionner le déroulement de la bataille, la composition multinationale des régiments en présence ou les critères de recrutement à la fin du Premier Empire.

Isabelle Souquet, archéo-anthropologue à l’Inrap (23 février 2024)

► L’étude de cette fosse commune a fait l’objet d’un article librement accessible en ligne d’Isabelle Souquet, Gwénaëlle Goude, Kerry Sayle, Marie-France Deguilloux, Philippe Calmettes et Alistair Nichols, « Mourir sur le champ de bataille en 1814. Identité, statut social, traitement des corps après la bataille d’Orthez », publié dans le n° 36 du BMSAP (2024).

► Pour en savoir plus sur ce site archéologique, consultez cet article publié sur le site de l’Inrap.

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