Le 5 septembre, des bombardements intensifs précèdent l’assaut final. Le 8 à midi, les tirs d’artillerie cessent et l’on sonne la charge. Longtemps incertaine, la journée s’achève avec la prise de la Tour Malakoff par le général de Mac-Mahon, décisive pour la victoire. Cette fortification perdue, les Russes ne peuvent plus tenir la ville. Le général Gortchakov donne l’ordre d’évacuer Sébastopol vers le nord. Il fait sauter les derniers magasins, dépôts, bastions et redoutes. Dans la rade, les derniers bâtiments russes encore à flot sont incendiés.
La guerre de Crimée (1853-1856) a longtemps suscité l’incompréhension. Sous la Troisième République, l’historiographie a peiné à en saisir les véritables enjeux, l’exécration globale du Second Empire après 1870 puis l’alliance franco-russe à la Belle-Époque rendant difficile une relecture objective des faits historiques. On se contentait d’y voir une guerre indéfendable causée par des motifs dérisoires et par des dirigeants inconséquents, au premier rang desquels Napoléon III. Mieux connue aujourd’hui grâce aux travaux des historiens, cette guerre est aussi mieux comprise. Au demeurant, Napoléon III en a donné l’explication. Le 2 mars 1854, après l’échec de son ultime tentative de négociation avec le Tsar, il déclare aux députés français :
« Le temps des conquêtes est passé sans retour, car ce n’est pas en reculant les limites de son territoire qu’une nation peut désormais être honorée et puissante, c’est en se mettant à la tête des idées généreuses et en faisant prévaloir partout l’empire du droit et de la justice. […] La France n’a aucune idée d’agrandissement et veut uniquement résister à des empiètements dangereux. […] Nous avons vu, en effet, en Orient, au milieu d’une paix profonde, un souverain exiger tout à coup de son voisin plus faible des avantages nouveaux, et, parce qu’il ne les obtenait pas, envahir deux de ses provinces. Seul, ce fait devait mettre les armes aux mains de ceux que l’iniquité révolte. Mais nous avions d’autres raisons d’appuyer la Turquie. La France a autant et plus intérêt que l’Angleterre à ce que l’influence de la Russie ne s’étende pas indéfiniment sur Constantinople ; c’est régner sur la Méditerranée ; et personne, je le pense, ne dira que l’Angleterre seule a de grands intérêts dans cette mer qui baigne trois cents lieues de côtes. Nous allons à Constantinople pour protéger […] notre juste influence dans la Méditerranée. »
Comme l’Empereur le suggère, la France est active dans toute la Méditerranée, notamment en Égypte, au Levant, sur le Bosphore même. Dans la région du Danube, elle soutient la nationalité roumaine. Plutôt que de laisser la Russie établir son emprise sur la mer Noire, le Caucase, le Danube, et sa tutelle sur les Détroits, les Balkans et la Méditerranée orientale, Napoléon III a choisi de s’opposer à l’expansionnisme du Tsar et rallié une grande partie de l’Europe à cette cause. Victorieux à Sébastopol et principal acteur des négociations, l’Empereur des Français est devenu l’arbitre du Concert européen. En février 1856, le congrès qui met fin à la guerre de Crimée s’ouvre au Quai d’Orsay, sous la présidence de Walewski. La France a retrouvé la prépondérance européenne qu’aucun des régimes successifs n’avait pu lui rendre depuis 1814.
Yves Bruley, Correspondant de l’Institut (septembre 2025)
• À paraître le 15 octobre 2025 : Yves Bruley, La Guerre de Crimée, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2025, 128 p., 10 €.
• Récemment paru : Éric Anceau, Jean-François Figeac, Marie-Pierre Rey (dir.), La Guerre de Crimée, première guerre contemporaine, Paris, Classiques Garnier, 2025, 400 p., 39 €.
• À noter, la conférence d’Yves Bruley à la Fondation Napoléon, le 16 décembre 2025 : « Le congrès de Paris (1856), apogée du Second Empire ? »