Une chronique d’Yves Bruley : « L’Académie française a-t-elle été fondée par Bonaparte ? »

Auteur(s) : BRULEY Yves
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Alors que « les Quarante » viennent de désigner leur nouveau secrétaire perpétuel, Amin Maalouf, il est partout rappelé, à juste titre, que la glorieuse compagnie, symbole de la continuité de la langue et des lettres françaises dans la longue histoire de la France, a été fondée par Richelieu en 1634 – ou 1635 si l’on retient la date des lettres patentes du roi Louis XIII. Mais il n’est pas inutile de rappeler l’importance de la Première République, du Consulat et de l’Empire dans l’histoire de cette institution. Importance très paradoxale car c’est précisément à une époque où l’Académie française n’existait pas – en tout cas pas sous ce nom – qu’elle a été dotée, avec tout l’Institut de France, des symboles auxquelles l’opinion publique l’associe : la Coupole, l’habit vert et l’épée.

Une chronique d’Yves Bruley : « L’Académie française a-t-elle été fondée par Bonaparte ? »
Yves Bruley, photo © Sebastien Soriano/Le Figaro

L’Académie française et toutes les académies d’Ancien Régime sont supprimées le 8 août 1793. Deux ans plus tard, la Convention nationale fonde l’Institut national – notre Institut de France : « Il y a pour toute la République un Institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences » (Art. 298 de la Constitution de l’an III). Cet « Institut national des sciences et des arts », organisé par la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), est composé d’abord de trois « classes » : Sciences physiques et mathématiques ; Sciences morales et politiques ; Littérature et Beaux-Arts. Les premiers membres de l’Institut, nommés par le Directoire, se réunissent pour élire les autres membres et compléter ainsi l’ensemble. Le général Bonaparte est élu en décembre 1797 membre de l’Institut, au sein de la première classe, dans la section de mécanique. L’année suivante, l’Institut de France lui sert de modèle pour fonder l’Institut d’Égypte.

Devenu Premier Consul, Bonaparte opère plusieurs réformes au sein de l’Institut. Il le dote d’un signe distinctif, d’abord une canne surmontée de la médaille de l’Institut (1800), puis un costume officiel (1801), dont les académies royales étaient dépourvues. Ce costume est mutatis mutandis « l’habit vert » que nous connaissons toujours. L’habitude d’y ajouter une épée se développe sous l’Empire avec l’usage des épées de cour et de fonctionnaires. En outre, Napoléon transfère l’Institut en 1805 du Palais du Louvre au « Palais Mazarin », qu’il occupe encore Quai de Conti.

Surtout, Napoléon procède en 1803 à une réorganisation intérieure de l’Institut. L’unité de l’ensemble est conservée, mais les membres sont répartis désormais en quatre classes : « Sciences physiques et sciences mathématiques » (65 membres) ; « langue et littérature française » (40 membres) ; « histoire et littérature ancienne » (40 membres) ; « beaux-arts » (29 membres). Et la fonction de « secrétaire perpétuel », qui existait sous l’Ancien Régime, est reprise pour chaque classe. Dans l’ensemble, la réforme fusionne l’apport de la République (unité de l’Institut, égalité de ses membres) et certaines traditions de l’Ancien Régime. Ainsi, la deuxième classe, avec ses quarante membres et son secrétaire perpétuel, ressemble évidemment et volontairement à l’ancienne Académie française.

En 1816, Louis XVIII peut donc conserver l’organisation de l’Institut de 1803 tout en changeant les noms des « classes » qui reprennent ceux des anciennes académies, « afin de rattacher leur gloire passée à celles qu’elles ont acquises » (sous-entendu : acquises depuis 1795 ou depuis 1803). Ainsi voit-on réapparaître officiellement l’Académie française, ancienne « classe de langue et littérature française », aux côtés des autres classes devenues académies (des Sciences, des Inscriptions et belles-lettres, des Beaux-Arts). En 1832, Guizot complètera l’Institut par l’Académie des sciences morales et politiques, héritière de la classe créée en 1795 dans ces domaines et supprimée en 1803 par Bonaparte.

C’est donc à Napoléon que les académiciens doivent de siéger sous la Coupole et de porter l’habit vert avec une épée. C’est à la Première République que l’Institut doit son unité, ainsi que le principe de son indépendance à l’égard du pouvoir politique. Mais c’est à leur remarquable longévité, à travers toutes les révolutions, et aux mérites de leurs membres que l’Institut et ses cinq académies doivent leur bien le plus précieux : la liberté.

Yves Bruley, Correspondant de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques) (octobre 2023)

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