Une commande de prestige auprès de la manufacture Dihl et Guerhard : les services de dessert de l’impératrice Joséphine et du prince Eugène

Auteur(s) : CAUDE Elisabeth
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Une commande de prestige auprès de la manufacture Dihl et Guerhard : les services de dessert de l’impératrice Joséphine et du prince Eugène
©The State Hermitage Museum / Photo by Vladimir Terebenin, Leonard Kheifets, Yuri Molodkovets

L’exposition Destins souverains, Joséphine, la Suède et la Russie (musée national du château de Malmaison, 24 septembre 2011 – 9 janvier 2012) a présenté à côté de nombreux souvenirs de famille de l’impératrice Joséphine et de sa descendance conservés dans les collections de S.M. le Roi de Suède Carl XVI Gustav des oeuvres d’art qui faisaient la richesse des décors de Malmaison au temps de l’Impératrice et donnent une idée du raffinement de la demeure. A ce titre, il convient de souligner les prestigieux prêts consentis par le musée de l’Ermitage, avec, notamment plusieurs pièces du célèbre service de porcelaine parisienne Dihl et Guerhard, un des chefs d’oeuvre de Malmaison. Ces prêts de Saint-Pétersbourg – corbeilles majestueuses du surtout, assiettes à décors de tableaux, pièces de forme dorées en plein – sont exposés à côté des pièces de ce même service que Malmaison s’efforce depuis plus de vingt ans de reconstituer : aussi cette présentation des pièces des deux services, dispersées par l’Histoire et rassemblées, le temps d’une exposition, pour la première fois en France depuis leur départ en 1816 constitue-t-elle un moment unique et exceptionnel. 

La commande auprès de la manufacture Dihl et Guerhard

© Service de presse Rmn-Grand Palais / Daniel Arnaudet / Gérard BlotBénéficiant, au lendemain du divorce, d’un crédit de 30 000 francs pour commander un service auprès de la manufacture impériale de Sèvres, l’impératrice Joséphine donne sa préférence à la manufacture parisienne de porcelaine Dihl et Guerhard auprès de laquelle elle passe commande d’un service de « porcelaine riche », dorée et à décor.
Les livraisons s’étalent de mai 1811 à 1813, comprenant 80 assiettes à décor dites « assiettes à tableaux », un surtout, des assiettes et des pièces de forme décorés en or plein. La richesse des décors, tout comme l’exceptionnelle qualité des ors, due à la maîtrise en ce domaine de la manufacture, font de ce service l’une des plus prestigieuses commandes de l’époque de l’Empire, en même temps que l’une des plus dispendieuses, son coût total s’élevant à la somme de 46 976 francs.
De son côté, à une date qui reste pour l’instant inconnue, mais antérieure à la mort de sa mère en 1814, le prince Eugène de Beauharnais passe également commande d’un service semblable auprès de la même manufacture. Néanmoins le service du prince Eugène, limité à 48 « assiettes à tableaux », ne comprend ni de surtout ni de tasses à café, à mousse et à glace.

Le destin des deux services

© Service de presse Rmn-Grand Palais / Gérard BlotA la mort de Joséphine, le prince Eugène hérite du service de sa mère et le réunit au sien, sans qu’il soit possible de les distinguer, mises à part les pièces frappées des armes de l’Impératrice ou celles marquées du chiffre d’Eugène. Toutes les pièces sont ornées de la même frise décorative de liserons.
Certains décors reviennent en double, figurant selon toute vraisemblance dans chacun des deux services. En 1816, le prince fait acheminer le service à Munich où il a établi sa nouvelle résidence. Puis, en 1839, le service prend le chemin de Saint-Pétersbourg à l’occasion du mariage du dernier enfant du prince Eugène, Maximilien, troisième duc de Leuchtenberg, avec la grande duchesse Maria Nicolaevna, fille du tsar Nicolas Ier. Il demeure la propriété des ducs de Leuchtenberg jusqu’à son séquestre au lendemain de la Révolution russe et à son entrée dans les collections du musée de l’Ermitage pour 93 d’entre elles. Durant ces années, certaines pièces sont mises sur le marché de l’art et c’est ainsi que le château de Malmaison peut progressivement en racheter. Le nombre des pièces du service qui y sont actuellement conservées, s’élèvent à 56.

La composition du service et son propos décoratif

© The State Hermitage Museum / Photo by Vladimir Terebenin, Leonard Kheifets, Yuri MolodkovetsLe surtout est composé de plusieurs types de pièces de forme : trois corbeilles rondes à caryatides – une grande et deux moyennes (voir photo ci-dessus)-, deux corbeilles de forme navette soutenues par des figures féminines agenouillées, deux vases trépieds, douze amours ailés ou zéphyrs ainsi que des vases. Les pièces à caryatides et les trépieds répondent, dans un souci de cohérence, au décor à l’antique de la salle à manger ornée des Danseuses pompéïennes de Louis Lafitte. Le traitement des biscuits bronzés imitant le bronze doré ainsi que l’appel à la technique de l’or bruni enrichissent le décor, en accusant les effets de matière et de lumière : l’illusion du vermeil est rendue à la perfection. Les deux services comptent de nombreuses pièces dorées en plein, conçues pour l’usage : à côté des assiettes « pour couper le fruit », au nombre de 24 dans chaque service et décorées pour l’Impératrice des armes impériales et pour Eugène de son seul chiffre, figurent, comme tout service de dessert, de nombreuses pièces de forme réservées à l’usage des crèmes, compotes, entremets sucrés et à la présentation des fruits.

Ainsi le musée de l’Ermitage et le château de Malmaison peuvent-ils présenter, en unissant leurs collections, une typologie des pièces citées dans les descriptions de l’époque : compotiers ronds sur pied, compotiers à pans, jattes à crème, drageoirs, sucrier, coupe ajourée … Le service de l’Impératrice compte en plus des tasses à mousse et des tasses à glace, dorées en plein, ainsi que des tasses à café décorées de cartouches à paysages et à personnages.
Quant aux assiettes «  à tableaux », au nombre de 128 pour les deux services, elles s’inspirent pour un grand nombre de paysages romantiques ou de vues de monuments antiques et modernes qui sont pour la plupart identifiés, grâce à des inscriptions, comme des sites italiens, mises à part quelques vues d’Europe isolées, souvent des perspectives urbaines. Les peintres ont puisé leur inspiration dans des recueils de planches, Description des royaumes de Naples et de Sicile de Jean-Claude Richard, abbé de Saint-Non et Recueil des vues et fabriques pittoresques d’Italie de Constant Bourgeois. Rien ne permet d’affirmer que l’Italie ait seulement inspiré le service du prince Eugène.
Deux assiettes reproduisent les petits-enfants de l’Impératrice dans l’esprit des tableaux livrés par Karl-Joseph Stieler (voir photo ci-dessus). Les autres ainsi que les glacières – au nombre de deux par service – font, pour la plupart, référence à des peintures de la collection de l’Impératice qu’elle exposait dans sa galerie, constituée à partir, entre autres, des tableaux confisqués au landgrave de Hesse-Cassel ou d’achats en vente publique ou aux Salons…: ainsi en est-il de La Marchande de harengs, de Gérard Dou, – le tableau est prêté par le musée de l’Ermitage – reproduite sur une de ses glacières, de Paysages et animaux de Nicolas Berchem peint sur une des glacières du prince Eugène et sur une assiette, du Déjeuner d’huîtres (voir photo ci-dessus) figurant sur la seconde glacière du prince Eugène et sur une assiette. Le tableau Canal glacé, rempli de patineurs d’ Adriaen van de Velde a inspiré deux décors d’assiettes … La peinture de genre hollandaise du XVIIe siècle, avec une certaine prédilection pour les scènes d’intérieur, en lien avec les plaisirs de la table, ne constitue néanmoins pas la seule source d’inspiration pour ces décors: certaines assiettes reproduisent les oeuvres du courant troubadour, si cher à Joséphine, telles celles de Fleury Richard, Valentine de Milan et Les Adieux de Charles VII à Agnès Sorel.
Sans nul doute l’Impératrice aura-t-elle orienté ces choix, révélateurs de son goût et de son attachement à certains tableaux: ainsi ce florilège pictural puisé parmi les oeuvres aimées de sa galerie offrait-il aux invités de Malmaison un miroir subtil de sa collection.

Elisabeth Caude, conservateur en chef du Patrimoine
Commissaire de l’exposition Destins souverains, Joséphine, la Suède et la Russie

2 décembre 2011

Notes

 

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