Volta et la pile électrique

Auteur(s) : BIANCO Pierre
Partager
Les hasards de l'histoire et de la découverte scientifique permirent à Napoléon et à Alessandro Volta de se rencontrer, le grand stratège et homme d'État d'un côté, le scientifique et découvreur de l'autre.

Si la Seconde campagne d'Italie n'avait pas eu lieu, si Napoléon n'était pas devenu roi d'Italie, si Volta n'avait pas été italien et s'il n'avait pas découvert la fameuse pile justement en ces toutes dernières années du XVIIIe siècle… Un heureux concours de circonstances a voulu que Napoléon pût connaître et apprécier à sa juste valeur l'une des plus grandes découvertes jamais effectuées en électrochimie et en pressentir en même temps l'importance, en honorant l'auteur de cette découverte, démontrant ainsi ses largeurs de vue et l'intérêt qu'il portait à tout ce qui pouvait toucher au « progrès ».

Des sources d’énergie indispensables à l’homme

Pendant plusieurs millénaires, les hommes utilisèrent les sources d'énergie que leur offrait la nature : le feu, pour faire cuire leurs aliments, s'éclairer et se chauffer, le vent pour mouvoir leurs navires et leurs moulins, l'énergie fournie par les animaux pour les aider à travailler et à se déplacer, de même que celle des autres hommes pour effectuer des travaux et des activités les plus diverses. Jusqu'au XIXe siècle, on s'éclaira à la bougie relayée ensuite par la lampe à pétrole ; la lu-mière électrique n'arriva qu'après. Jusqu'au XIXe siècle également, on se déplaça uniquement en voiture à traction animale. Or, ce fut précisément à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle que furent effectuées des découvertes scientifiques fondamentales qui, si elles ne furent considérées sur le moment que comme des curiosités de laboratoire, eurent par la suite des conséquences importantes sur le développement de nouvelles technologies assorti de retombées qu'on était alors loin de prévoir. La pile de Volta, qui vit le jour en 1799, fait partie de ces découvertes aux applications imprévisibles (1) (2).
 
Les phénomènes électriques sont connus, par leurs manifestations tout au moins, pratiquement depuis les origines de l'humanité – la foudre évidemment, mais aussi les feux Saint-Elme qui crépitent en haut des mats des bateaux, les poissons électriques du Nil, etc. – mais ce type d'énergie n'est absolument pas contrôlable et l'on en connut pendant longtemps surtout les effets négatifs. Ce que l'on nommait alors le « feu électrique » passionna plusieurs savants – au XVIIIe siècle l'électricité était « à l'ordre du jour » en même temps qu'elle constituait une curiosité mondaine qui attirait le grand public – et ce jusqu'aux découvertes des physiciens de la fin du XVIIIe siècle, dont celles de Volta. On conçoit donc aisément que la découverte de la pile par Volta ait pu susciter un grand enthousiasme, comme nous le verrons plus loin. Vers le milieu du XVIIIe siècle d'ailleurs, des expériences sur le « feu électrique » avaient déjà conduit le célèbre Américain Benjamin Franklin à mettre au point le premier paratonnerre (1752), une découverte qui connut un vif succès. Pour produire du « fluide électrique » à la demande en vue d'effectuer des expériences, on utilisait (et ce jusqu'à la fin du XVIIIe siècle) des «machines électriques » formées de disques frottant l'un contre l'autre (produisant de l'électricité « statique », d'où le mot « électrostatique ») mises au point d'abord par Otto von Guericke à la fin du XVIIe siècle, puis perfectionnées au cours du siècle suivant par Jesse Ramsden. L'utilisation des machines électriques permit d'une part de chercher à comprendre la nature du « fluide électrique » et d'autre part d'en étudier les effets, ce qui conduisit d'ailleurs à de remarquables découvertes en physique et en chimie. Mais c'était là avec la chaleur (c'est-à-dire l'énergie calorifique) les deux seules sources d'énergie qui fussent à la disposition des savants. Une autre difficulté à laquelle se trouvaient confrontés les chercheurs, c'était le problème du stockage de cette énergie électrique.

Ce fut également au milieu du XVIIIe siècle que les premiers « condensateurs » permettant d'emmagasiner l'énergie électrique (en l'occurrence « électrostatique ») furent conçus, grâce aux travaux de Ewald Georg von Kleist (un savant ecclésiastique allemand), puis de Peter van Musschenbroeck (un professeur de physique hollandais) qui conçut les « bouteilles électriques » ou « bouteilles de Leyde ». On comprend donc pourquoi la découverte de Volta – qui permettait de disposer désormais d'une nouvelle source d'énergie « électrique » non « électrostatique », plus facile à contrôler et éventuellement plus facilement « transportable », car beaucoup moins encombrante que les lourdes machines électrostatiques – eut un tel succès. Quant à l'électricité dite « animale » (celle dégagée par les poissons électriques, qui gardait encore tout son mystère), elle fut à l'origine de discussions auxquelles les travaux de Volta mirent un terme.

Sciences physiques et naturelles

Le dernier quart du XVIIIe siècle connut en Europe une grande activité scientifique, notamment dans le domaine des sciences physiques et naturelles – les lignes qui précèdent en sont la preuve. Outre les travaux de physique que nous avons rapportés plus haut, des découvertes importantes furent effectuées en chimie par les Anglais – préparation de l'acide chlorhydrique par Priestley en 1772, travaux de Cavendish sur la synthèse de l'acide nitrique. Des chimistes hollandais, comme Adriaen Paets van Troostwyk et Johann Rudolf Dieman, travaillèrent sur le problème de la décomposition et de la synthèse de l'eau. En France, on comptait plusieurs physiciens et chimistes éminents (Lavoisier, Laplace, Fourcroy, Berthollet, etc.), qui s'attaquèrent eux aussi au problème de la composition de l'eau (expériences publiques de Lavoisier à l'Arsenal de Paris le 27 février 1785), ainsi qu'à l'étude de nom-breux composés. Plusieurs savants développaient simultanément de fructueuses recherches en Italie, tels Giambattista Beccaria, de Turin, qui étudia les effets des étincelles électriques sur l'eau, Luigi Galvani, qui enseignait l'anatomie à Bologne, devenu célèbre pour ses travaux sur «l'électricité animale » et sur les effets du « fluide électrique » sur les organismes vivants (les fameuses grenouilles), Luigi Brugnatelli, professeur de chimie à Pavie, qui travailla lui aussi sur le « fluide électrique », Alessandro Volta, qui enseignait la physique à Pavie, connu pour ses travaux sur les gaz (le méthane notamment), mais surtout pour la mise au point de la célèbre pile, toujours utilisée après deux siècles d'existence.

En France, en raison des événements de la Révolution, la recherche scientifique marqua un temps d'arrêt au moins jusqu'en 1797. Dans l'avant-propos des Annales de Chimie, dont la parution fut interrompue en septembre 1793 et qui ne recommencèrent à paraître qu'en l'an V, il est écrit (3) : « La nécessité de s'occuper uniquement de la République, les événements de la révolution, enfin les occupations et les fonctions publiques des auteurs, sont les causes naturelles de cette suspension […] ; la chimie a créé pour la défense de la patrie des ressources et des moyens vraiment inattendus […] ; déjà la France a cessé d'être tributaire des autres nations pour un grand nombre de produits utiles […]. Il n'est pas nécessaire de dire qu'on a réuni tous les moyens possibles pour joindre aux découvertes des Français, celles qui seront faites dans toutes les autres nations […] et surtout en Allemagne, en Espagne, en Hollande, en Italie et en Angleterre ».

La découverte (1799)

Alessandro Volta naquit à Côme, dans la Lombardie alors autrichienne, le 18 février 1745, dans une famille patricienne (de noblesse connue dès le XVIe siècle et confirmée le 19 septembre 1698) mais peu fortunée. Sa petite enfance ne laissait rien présager de bon quant à ses capacités intellectuelles, puisqu'il ne se mit à parler qu'à l'âge de sept ans. Par la suite toutefois, le jeune Alessandro fit preuve d'aptitudes assez exceptionnelles pour les études, ce qui fit même dire un jour à son père : « Avevo in casa un diamante e non me n'ero avveduto» (« J'avais chez moi un diamant et je ne m'en étais pas aperçu ») (4). Par la suite, Volta manifesta un vif intérêt pour tout ce qui touchait aux sciences physiques et naturelles, lisant les travaux des scientifiques les plus éminents de son époque, entretenant même avec certains d'entre eux des relations épistolaires. Sa formation scientifique fut en fait celle d'un autodidacte, son seul maître ayant été, a-t-on dit, « il suo talento ». Cultivé, érudit, il écrivit même des poèmes en latin, dont un de 492 hexamètres sur des sujets scientifiques touchant à la physique et à la chimie. En 1787, il composa un hommage versifié en l'honneur d'Horace de Saussure qui venait de réussir la première ascension du Mont Blanc.

Volta s'intéressa très tôt aux phénomènes électriques. Il commença ses travaux sans le cadre du laboratoire de son ami, le chanoine Giulio Cesare Gattoni, à Torre Gatoni, près de Côme. Dès 1775, des découvertes et des mises au point importantes furent effectuées par Volta, ce qui le conduisit ensuite à la conception en 1778 d'un eudiomètre. Sa réputation fut telle qu'il fut nommé professeur de physique expérimentale à Côme (1775), puis à l'université de Pavie (1778), dans le cadre d'une relance de cette université voulue par le gouvernement autrichien. Ce fut dans les laboratoires de l'université de Pavie que Volta effectua les remarquables expériences qui le conduisirent à la mise au point de sa pile.

Volta eut donc à Pavie une double activité, celle de professeur d'université et celle de chercheur scien-tifique. Les voyages qu'il effectua à l'étranger, en partie financés d'ailleurs par le gouvernement de la Lombardie autrichienne, montrent qu'il était doté d'une grande ouverture d'esprit et d'une curiosité scientifique toujours en éveil. Il se rendit successivement en Suisse (1777) où il rencontra Saussure, en France (1781-1782) où il discuta avec Lavoisier et Laplace, puis en Angleterre où il eut des contacts avec Banks et Priestley, aux Pays-Bas, puis en Autriche et en Allemagne (1784), bref dans tous les pays où travaillaient alors les scientifiques les plus éminents. Il est bien évident que de telles rencontres ne pouvaient qu'être enrichissantes pour lui et qu'elles lui permirent d'ouvrir de nouvelles pistes de recherche.
 
Nous ne parlerons pas ici de la genèse des travaux de Volta qui l'amenèrent à la construction de sa fameuse pile ni des aspects théoriques qui lui sont attachés. Disons simplement qu'en combinant des disques de zinc et des disques d'argent séparés par des rondelles de carton ou de chiffon humides « empilés », Volta observa l'apparition d'un courant électrique. « Ce fut là le grand pas, écrit-il, qui me conduisit vers la fin de l'année 1799, à la construction du nouvel appareil que j'appelle Électro-moteur » (5). Par la même occasion, Volta se détachait des points de vue de Luigi Galvani quant à l'existence d'une « électricité animale », estimant, à juste titre d'ailleurs, qu'il ne devait exister en fait qu'un seul type d'électricité.
 
La découverte de Volta eut un grand retentissement parmi les scientifiques, déclenchant aussitôt une vague de recherches nouvelles, qui débouchèrent d'ailleurs parfois sur des expériences fantaisistes (telle l'annonce par le Milanais Giuseppe Baronio de la découverte d'une pile dite « végétale » constituée de rondelles de betterave et de raifort), mais ouvrant aussi la voie à des découvertes et à des interprétations pleines de promesses pour l'avenir. Ainsi, les travaux de Berzelius et Hisinger (dès 1803), de Grotthuss (1806-1807), de Davy (1806-1807), pour n'en citer que quelques-uns parmi les plus importants, tous basés sur l'utilisation d'un courant électrique généré par une pile de Volta, sont remarquables et firent largement progresser l'électrochimie, jusqu'aux découvertes fondamentales ultérieures de Faraday autour des années 1833-1834. Le fait que Volta fût bien connu dans le monde scientifique – ses voyages y avaient certainement contribué – ne put que faciliter
la diffusion de sa découverte à travers l'Europe, découverte qui fut d'ailleurs largement répercutée par sir Joseph Banks, le président de la Royal Society. On dispose en effet de plusieurs textes relatant l'invention de la pile, la lettre originale (écrite en français) de Volta à Banks, datée du 20 mars 1800 (6), ayant été publiée la même année également en anglais (7).

L’Italie à la fin du XVIIIe siècle

La période au cours de laquelle Volta effectua les travaux qui conduisirent finalement à la mise au point de la pile fut loin d'être sereine en Europe occidentale, en Italie notamment.
 
Commencée le 12 avril 1796 à l'extrémité méridionale des Alpes, au col de Cadibone entre Nice et Gênes, la première campagne dite « d'Italie » se termina le 18 avril 1797 à Leoben,
à l'extrémité orientale des Alpes :
18 batailles, 65 combats pour vaincre cinq armées autrichiennes sur le sol de l'Italie du nord. Le 15 mai 1796, Napoléon Bonaparte faisait une entrée triomphale dans Milan. Volta y assista en tant que représentant des patriciens de Côme. Ce fut sans doute la première fois qu'il voyait Napoléon. Le 17 octobre 1797, le traité de Campo-Formio préparait une large réorganisation de l'Italie du nord, avec la création en particulier de la République Cisalpine formée du Milanais, du duché de Modène et de la Romagne enlevée au pape. Volta devint ainsi citoyen de la République Cisalpine et à ce titre, comme tout autre citoyen en âge de porter les armes, il fut requis pour monter la garde avec la Legione Pavese en mai 1798. Cet événement se place donc à un moment particulièrement crucial pour Volta, alors qu'il allait tout juste mettre au point la pile ; on peut supposer que les préoccupations de Volta devaient être alors assez éloignées des soucis posés par un simple tour de garde. La même année, dans le courant du mois de décembre, le célèbre anatomiste bolonais, Luigi Galvani, dont Volta avait combattu la théorie de l'électricité dite « animale », beaucoup moins chanceux que lui, mourait dans la misère, après avoir été expulsé de l'Université de Bologne pour avoir refusé de jurer fidélité à la République Cisalpine, ceci afin de rester en accord avec ses principes religieux et sa fidélité au pape. Dans les mois qui suivirent, la situation politique en Italie se dégrada à nouveau. Avec la formation de la seconde coalition, les combats reprirent, entraînant la perte en 1799 pour le Directoire de toute l'Italie hormis Gênes. La campagne de 1800 permit la reconquête de l'Italie du nord au prix évidemment de nouveaux combats et le rétablissement de la République Cisalpine, qui fut confirmé lors du traité de Lunéville, le 9 février 1801. On voit donc que la découverte de la pile et la publication des résultats s'y rapportant, notamment la lettre à sir Joseph Banks, survinrent sur fond de combats et d'instabilité politique, en particulier dans le pays de son découvreur, Volta, dont le laboratoire de Pavie fut même endommagé par des boulets (français).

La reconnaissance officielle

Pendant les années qui précédèrent la découverte de la pile, Volta jouissait déjà d'une grande notoriété dans les milieux scientifiques. Ainsi, une lettre du 18 juillet 1791 de Charles Peter Layard lui apprenait qu'il venait d'être élu membre, à titre étranger, de la Royal Society, et en 1794, cette même institution lui décernait une médaille d'or (la médaille dite « de Copley » – une sorte de prix Nobel de l'époque). Le retentissement qui accompagna la nouvelle de la découverte de la pile, par le biais de la lettre de Volta à Banks, traduite, nous l'avons vu, en anglais et ainsi largement diffusée dans les milieux scientifiques, incita alors les savants français, en accord avec les autorités de la République Cisalpine, à inviter Volta (en même temps que son collègue, le chimiste Brugnatelli, lui aussi professeur à Pavie) afin de venir présenter ses travaux devant ses collègues français. Les deux savants furent reçus à Lyon et à Paris. Auparavant, par décret en date du 5 octobre 1801, Napoléon Bonaparte avait demandé à Volta de faire partie des trente premiers membres de l'Institut national de la République en vue de l'élargissement de cette institution. La reconnaissance officielle eut lieu précisément à l'Institut, au cours de la séance du 7 novembre 1801, à laquelle assista Napoléon Bonaparte.
 
Cet épisode a été plusieurs fois représenté, notamment sur une fresque de la villa Ponti, à Varese (8). Les descendants de Volta conservent encore le gilet brodé que leur illustre ancêtre porta à cette occasion. Le Premier consul apprécia la lecture qui lui fut faite du Memoria sulla identità del fluido galvanico, lecture qui fut illustrée par la présentation d'expériences montrant le fonctionnement de la pile et la production d'un courant électrique. Suite à cette séance, Napoléon proposa de décerner à Volta une médaille d'or de l'Institut. Cette décision lui fut notifiée dans une lettre datée du 12 décembre 1801 du président de l'Institut national des Sciences et des Arts de Paris, l'abbé Haüy, qui s'appuyait sur un rapport du célèbre mathématicien, physicien et astronome, Jean-Baptiste Biot, daté du 2 décembre 1801.

Honneurs et distinctions

La découverte de la pile eut des prolongements remarquables ; des résultats importants furent acquis dès la première décennie du XIXe siècle. Pendant ce temps, Volta continuait à être couvert d'honneurs. Le 6 novembre 1802, Volta (et d'autres savants italiens tels Antonio Scarpa, Barnaba Oriani, etc.) était nommé par Napoléon membre de l'Istituto Lombardo qui avait été créé auparavant sur le modèle de l'Institut de France. Volta fut d'ailleurs désigné pour présider la première session de l'Istituto Lombardo, qui se réunit le 24 mai 1803 (cet institut devint par la suite l'Istituto Reale di Scienze, Lettere ed Arti dont le siège fut établi à Milan dans le Palais Brera). En 1805, Volta était fait chevalier de la Légion d'honneur, puis en 1806, de l'Ordre royal italien de la Couronne de Fer, un ordre voulu par Napoléon et créé en 1805, qui fût spécifiquement italien. Le scientifique était ainsi honoré et récompensé dans le cadre de son pays, le royaume d'Italie, dont le souverain était l'Empereur. En 1809, Volta devenait sénateur de ce royaume (les descendants de Volta conservent encore son épée de sénateur) et en 1810, il était créé par Napoléon comte, toujours de ce même royaume, un titre qui était « trasmissibile alla sua discendenza diretta, legittima, o adottiva, di maschio in maschio, per ordine di primogenitura ». Il est certain que les distinctions dont Volta fut l'objet entraient dans une démarche politique de séduction et de tentatives de ralliement au régime impérial lancée en direction des élites italiennes. Le royaume d'Italie faisait alors l'objet d'une centralisation méthodique dans tous les domaines autour du pouvoir impérial et Napoléon cherchait en même temps à rallier à lui la bourgeoisie, qui conçut d'ailleurs un certain attachement au régime, ainsi que l'aristocratie, qui fut toutefois plus difficile à gagner.

Le succès et les honneurs n'entachèrent pas pour autant la modestie de Volta : « À la vie agitée d'une vaine gloire » écrit-il à sa femme dans une lettre rédigée à Paris le 10 novembre 1801 – donc trois jours après la démonstration du fonctionnement de la pile devant Napoléon – « je préfère la tranquillité et la douceur de la vie domestique ». Dans une autre lettre, adressée cette fois-ci à son frère l'archidiacre Luigi et datée du 17 novembre de la même année, il écrit : « Je suis surpris de voir que mes découvertes anciennes et nouvelles sur ce qu'on appelle le Galvanisme aient produit un tel enthousiasme ». Par la suite, Volta se replia sur lui-même sans plus rien produire de notable. Ses descendants possèdent un tableau sur lequel il est représenté âgé (n'oublions pas qu'il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-deux ans), les cheveux blancs, l'air plutôt mélancolique, un livre entrouvert à la main, avec un modèle de sa pile devant lui. Il mourut à Côme le 5 mars 1827.

L’estime de Napoléon

Un des points qu'il nous semble important de souligner pour conclure cette relation sur Alessandro Volta, grand découvreur et contemporain de Napoléon, c'est l'intérêt que manifesta le Premier consul, puis l'Em-pereur, pour la découverte de Volta et l'estime dont il fit également preuve pour l'homme de science, un intérêt qui ne se limita pas à une simple visite à l'Institut mais qui se répercuta sur le savant, qui fut par la suite couvert d'honneurs. Il est probable que Napoléon, ayant entendu parler de cette découverte si largement diffusée et en soupçonnant l'importance, tint à la mettre en valeur, en honorant en même temps son auteur, qui se trouvait être de plus citoyen d'une des républiques-soeurs de la France. Ce même citoyen devint d'ailleurs ensuite un sujet du roi d'Italie.

La découverte de Volta, loin de marquer un point final pour la recherche en physique et en électricité au XVIIIe siècle, ouvrait au contraire les portes vers des perspectives nouvelles. Elle correspondait en même temps au redémarrage en France de la recherche scientifique en général. La période impériale fut marquée par des travaux de premier plan effectués dans tous les domaines par plusieurs savants éminents : les mathématiques (avec Laplace, Legendre, Poisson, Poinsot, Arago) plaçaient la France au premier rang pour cette discipline, la physique et la chimie (Gay-Lussac, Chaptal, Berthollet, Thénard), les sciences naturelles, pour lesquelles la France détenait la suprématie grâce à Lamarck, Cuvier, Geoffroy-Saint-Hilaire. Une telle renommée ne pouvait qu'être appréciée par l'Empereur, et pas seulement parce qu'elle s'inscrivait dans le cadre d'une politique de prestige et de suprématie. Napoléon était en effet doué d'une grande intelligence – on a même dit d'une « intelligence organisée » – et d'une grande imagination. G. Lefebvre écrit (9) qu'il a été animé du goût de « tout savoir et de tout comprendre, qui l'a beaucoup servi assurément, mais qu'il a satisfait aussi sans arrière-pensée ». Par son action, il a contribué à réserver l'avenir à la connaissance scientifique, en lui attribuant une large place dans l'enseignement secondaire et en conservant les grandes institutions de la Convention, où le savant assurait lui-même la diffusion de ses découvertes. Napoléon ne pouvait donc qu'apprécier la science et les scientifiques découvreurs, artisans de progrès.

Quelques exemples, hormis celui de Volta, permettent d'illustrer cette facette du caractère de Napoléon. Ainsi, lorsqu'en 1813, le grand chimiste anglais sir Humphry Davy voulut se rendre en Italie, il obtint de Napoléon l'autorisation de traverser la France et de rencontrer par la même occasion le célèbre physicien Ampère, bien que la France et l'Angleterre fussent alors en guerre. Napoléon ne fit donc preuve à son endroit d'aucune discrimination. Un autre exemple montrant l'intérêt de Napoléon pour les sciences et en même temps son estime à l'égard des scientifiques, nous le rencontrons dans les relations amicales qu'il entretint avec le grand minéralogiste, l'abbé René-Just Haüy – que nous avons brièvement cité plus haut (10).
 
Napoléon demanda en 1803 à ce dernier de rédiger un traité de physique, lui accordant pour ce travail un délai de six mois. Avant ce terme, l'abbé Haüy lui présenta un exemplaire en deux tomes de son ouvrage. Napoléon lui demanda ce qu'il désirait en retour, mais l'abbé Haüy ne voulut rien pour lui, seulement une place pour son neveu. Il reçut quand même une pension de 6 000 francs. Plus tard, en 1815, au moment des Cent-Jours, lors d'une visite au Muséum d'histoire naturelle, l'Empereur dit au célèbre minéralogiste : « Monsieur Haüy, j'ai emporté votre physique à l'île d'Elbe et je l'ai relue avec le plus grand intérêt », le faisant en même temps officier de la Légion d'honneur.

L'auteur remercie très vivement l'Istituto Lombardo Accademia di Scienze e Lettere pour les documents et les illustrations qui lui ont été communiqués concernant la pile de Volta, notamment le fascicule publié en 1999 lors de la Mostra di cimeli per il bicentenario dell'invenzione.

Notes

(1) Pierre Bianco, De la pile de Volta à la conquête de l'espace, Deux siècles d'électrochimie, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 1998.
(2) Istituto Lombardo Accademia di Scienze e Lettere, La Pila di Volta : una scintilla lunga due secoli, Milan, Skira editore, 1999.
(3) Annales de Chimie, an V, 19-20, 5.
(4) La Pila di Volta…, op. cit., 1999.
(5) A. Volta, Collezione dell'opere del cavaliere conte Alessandro Volat patrizio comasco, Florence, G. Piatti, 1816.
(6) Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 1800, pp. 403-431.
(7) The Philosophical Magazine, 1800, 7, pp. 289-311.
(8) Un tableau conservé à Florence
au Museo di Storia della Scienza représente également cet épisode (voir couverture et pp. 8-9).
(9) G. Lefebvre, Napoléon, Librairie Félix Alcan, Paris, 1935, p. 63.
(10) Biographie nouvelle des contemporains, tome neuvième, Librairie Histo-
rique et des Arts et Métiers d'Émile Babeuf, Paris, 1823, p. 76.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
Hors série 2
Mois de publication :
Décembre
Année de publication :
2009
Partager